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Qatar 2022-2025 : des années d’apothéose pour la diplomatie sportive

Enclenchée progressivement par l’émir Hamad Al Thani, la diplomatie sportive qatarienne rencontre véritablement uneréussite sous le règne de Tamim Al Thani dans une volonté « d’exister par la mondialisation ».[1] Accueillant les plus grands événements sportifs internationaux, le Qatar a été confronté à une logique de « sportification », dans laquelle Doha désirait diversifier son économie.[2] Pourtant, c’est bien durant ces trois dernières années que les succès tant sportifsque géopolitiques sont présents — de l’organisation de la Coupe du monde de football de 2022 à la victoire du Paris Saint-Germain en Ligue des Champions en 2025, propriété duQatar Sports Investments.

Le football a été un vecteur diplomatique important pour le Qatar pour continuer à peser politiquement malgré le blocus.

Après quatre années de blocus de 2017 à 2021, le petit émirat gazier avait été considérablement isolé à la fois du reste de la région que de la scène internationale. Dans ce cadre, le football a été un vecteur diplomatique important pour le Qatar pour continuer à peser politiquement malgré le blocus. Le transfert record du footballeur brésilien Neymar, en 2017, vers le PSG, a été perçu comme un défi à l’embargo, démontrant la résistance économique et politique du Qatar. En dépit de l’affaiblissement du blocus pour le Qatar, l’émirat a prouvé sa résilience dans la période post-crise, en tirant profit de l’organisation d’événements internationaux après 2021 pour affirmer sa légitimité.

La stratégie d’influence par le sport adoptée par Doha relève d’une volonté de projection de puissance alternative, typique des petits États dans un environnement régional instable. Dès lors, le recours au soft power sportif lui permet de contourner ses vulnérabilités structurelles tout en se légitimant sur la scène internationale, notamment en Europe, via des vitrines de renommée mondiale à l’image du PSG.[3] Dans cette logique, le sport devient un levier de nation branding et de diplomatie régionale face aux stratégies concurrentes venues des É.A.U ou d’Arabie saoudite.

Se terminant à la veille de la Coupe du monde de football de 2022 se déroulant au Qatar, la crise du Golfe prend fin en tentant d’impulser à nouveau une cohésion chez les monarchies du Golfe. Si l’événement mondial de football de2022 n’a pas permis à l’équipe hôte de surperformer, le pays organisateur a toutefois remporté la compétition de l’image au vu des retombées positives pour l’émirat. En plus d’avoir rencontré des résultats touristiques brillants après la compétition, la finale opposant les équipes de France etd’Argentine — dont de nombreux joueurs étaient issus du Paris Saint-Germain — a permis au Qatar de promouvoir sa culture tout au long de la compétition et en particulier pendant la cérémonie des trophées. En effet, la superstar de football argentine Lionel Messi a même revêtu l’habit traditionnel golfien (bisht), faisant la une des réseaux sociaux du monde entier. Par ce geste, le Qatar associe durablement son image à la victoire historique de l’Argentine et à l’aura du joueur phare de la compétition, alors détenteur de sept Ballons d’or.

Le Qatar a ouvert la voie aux succès internationaux en inspirant également ses voisins

Pionnier dans la diplomatie d’influence depuis les années 1990, le Qatar a ouvert la voie aux succès internationaux en inspirant également ses voisins. Si cette réussite est qatarienne, elle est avant tout collective pour les pays du Conseil de coopération du Golfe après une crise de quatre années. Grâce à l’affluence record à Doha, les monarchies régionales ont profité de la dynamique en accueillant des spectateurs, tandis que les liaisons aériennes avec la capitale qatarienne ont connu des pics historiques de fréquence. Ces résultats positifs du Qatar dans l’organisation de ces compétitions à échelle planétaire légitiment alors l’organisation d’événements internationaux au profit des Étatsdu Golfe. Dans cet élan victorieux golfien, bien que cette sportification des monarchies du Golfe ait été d’abord enclenchée par le Qatar, la dynamique sportive est dès à présent au bénéfice de l’Arabie saoudite qui a glané l’organisation des Jeux asiatiques d’hiver de 2029 et surtout la Coupe du monde de football de 2034 dans le cadre de son projet Vision 2030.

Après tant d’années d’existence dans l’ombre, le Qatar s’est désormais forgé une assise légitimée par sa stratégie d’influence désormais planétaire

Quatorze années après avoir racheté le club de football français du Paris Saint-Germain, le Qatar remporte les lauriers de sa stratégie sportive mondiale en 2025. À ce titre, les investissements continus du Qatar dans le club de football parisien ont été chaleureusement remerciés par le président français, Emmanuel Macron, lors de la venue des joueurs du PSG à l’Élysée, le lendemain de leur victoire en finale de la Ligue des champions, le 1er juin 2025. En effet, cet investissement dans une structure sportive européenne alimente une relation avec l’État hôte, renforçant ainsi un soft power bilatéral qui profite stratégiquement à la France (en termes de visibilité et de partenariats économiques) comme au Qatar (en termes d’image et de légitimité internationale).

En dépit des résultats contrastés au fil des années avec le club parisien, cette victoire européenne signe l’apothéose du projet sportif qatarien en Europe après avoir connu des périodes parsemées d’embûches sportives et géopolitiques. Après tant d’années d’existence dans l’ombre, le Qatar s’est désormais forgé une assise légitimée par sa stratégie d’influence désormais planétaire. Ces succès sportifs marquent-ils la fin d’une décennie de Qatar bashing, ou ne font-ils que déplacer les critiques vers de nouveaux terrains ?

CERMAM


[1] 
DAZI-HÉNI Fatiha. Monarchies et sociétés d’Arabie. Paris, Presses de Sciences Po, 2006, pp. 193-214

[2] MCMANUS John, AMARA Mahfoud. « Sport at Home, Sport in the World : Evaluating Qatar’sSports Strategy from Above and Below » in ZWEIRI Mahjoob, AL QAWASMI Farah (dir.). Contemporary Qatar. Singapour, Springer, 2021, pp. 137-149

[3] BIANCO Cinzia, SONS Sebastian. « More than a Game : Football and Soft Power in the Gulf ». The International Spectator, Vol. 58, No. 2, 2023, pp. 92-106

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