POINT DE VUE

L’Europe face à Israël : de la proximité au double standard

Si les pays européens ont été les premiers à soutenir Israël et à assurer sa sécurité après sa création en 1948, dans la quête de survie du seul État juif, la légitimité de ce soutien inconditionnel est aujourd’hui pleinement remise en cause, alors même que la situation humanitaire à Gaza atteint un niveau sans précédent, avec plus de 50 000 décès enregistrés en juillet 2025. En attachant une importance fondamentale au respect du droit international, une configuration inversée légitime la déviance, et surtout encourage ouvertement à la violation du droit. 

En matière de double standard, il est tout à fait manifeste de constater une attitude ambivalente des États européens sur la question du soutien apporté à Israël, en dépit des violations flagrantes des droits de l’homme. 

Cette complaisance à l’égard d’Israël a été particulièrement perceptible récemment dans le cas des attaques israéliennes sur l’Iran, le 12 juin 2025.[1] Prônant autrefois le règlement des différends par la diplomatie, l’Europe a montré un alignement sur la position israélienne. Tant l’Allemagne que la France ont été parmi les premières à exprimer leur soutien à la sécurité et à la souveraineté d’Israël, alors même que l’État attaqué, en vertu du droit international, était l’Iran. Les fantômes de la guerre d’Irak resurgissaient lorsque le concept de guerre préventive était réemployé, notamment lorsque le chancelier allemand Friedrich Merz déclarait qu’Israël effectuait « le sale boulot pour nous tous », c’est-à-dire pour les Occidentaux. À l’exception notable du Premier ministre finlandais, qui a condamné l’attaque israélienne, la plupart des pays européens l’ont légitimée, avant de se limiter à des appels à la désescalade. En matière de double standard, il est tout à fait manifeste de constater une attitude ambivalente des États européens sur la question du soutien apporté à Israël, en dépit des violations flagrantes des droits de l’homme. 

Quels leviers de pression pour l’Europe ? 

Nombre d’experts considéraient que le seul acteur pouvant réfréner les ardeurs bellicistes d’Israël était les États-Unis. Or, en tant que premier partenaire économique de l’État hébreu, une entente entre les vingt-sept États de l’Union européenne permettrait de reconsidérer incontestablement les agissements d’Israël, alors même que la situation économique en Israël est préoccupante depuis 2023, et pour laquelle les estimations prévoient une récession en 2026. 

Si les processus de résolution du conflit israélo-palestinien avaient historiquement été tenus unanimement sous le contrôle des États-Unis, l’Union européenne n’a que peu imposé sa voix dans la mesure où le coût d’un retrait de tout processus, qui mettrait à mal la domination américaine, est moindre qu’un affront direct à cette hégémonie. Bien que l’UE ait résolument encouragé la reconnaissance d’une situation à deux États, dont la déclaration de Venise de 1980 en était une des plus caractéristiques, une telle décision n’a que fait l’objet d’un monnayage permanent. Une réelle volonté politique de le faire n’a semble-t-il jamais été aussi forte que depuis 2023.

En appliquant une double position sur les mandats d’arrêt internationaux émis à l’encontre du président russe Vladimir Poutine et du Premier ministre israélien, l’Europe décrédibilise sa position dans les pays du Sud, et entraîne les valeurs européennes dans un univers d’incertitude.

Dans ce contexte, les valeurs de démocratie, de respect des droits de l’Homme et de l’État de droit apparaissent durablement affaiblies, alors que les exactions israéliennes à Gaza se multiplient. En tant que gardien d’un certain idéal promu depuis plus d’un siècle, une pression durable et montrant ses effets, exercée par les États européens sur Israël, permettraient de restabiliser à la fois le Proche-Orient, en plein tumulte, et surtout l’Europe, qui voit son modèle rempli d’incertitude face à l’importation des conflits sur son sol. 

Par crainte d’être accusés d’adopter une position anti-israélienne, nombre d’États demeurent prudents. Conscient de son inefficacité chronique pour parvenir à tout accord sur le conflit israélo-palestinien, l’UE a réorganisé sa stratégie, en attachant sa priorité à la situation humanitaire à Gaza et en Cisjordanie, où elle peut utiliser ses leviers de pression pour améliorer, si peu que ce soit, les conditions humanitaires, en facilitant par exemple l’acheminement de produits alimentaires, ou encore produits de première nécessité. En dépit de son manque d’efficacité, en cas de volonté commune entre les États européens, des avancées majeures permettraient de faire évoluer la situation puisque des leviers de pression existent. 

Le levier économique 

En premier lieu, une suspension de l’accord d’association, signé de manière bilatérale par l’UE avec Israël en 1995 et entré en vigueur en 2000, constituerait un levier de pression efficace, quand Israël demeure redevable des relations économiques avec l’UE, étant de loin le premier partenaire commercial avec 32 % en 2024.[2]

Bénéficiant du statut le plus avancé parmi les États non-membres de l’UE, Israël bénéficie de multiples avantages commerciaux que les autres États ayant conclu des accords d’association n’ont pas réussi à avoir. Ainsi, en cas de changement majeur dans les accords d’association avec l’UE, Israël en sortirait indubitablement amoindri. 

Bien qu’Israël viole de manière tout à fait explicite l’article 2 de cet accord d’association, stipulant que « les relations entre les deux parties, ainsi que toutes les dispositions du présent accord, sont fondées sur le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques (…) », par manque de consensus entre les États, aucune sanction n’a été prise au 16 juillet 2025.[3]

En l’état où la violation continue des droits fondamentaux des Palestiniens est documentée, il serait ainsi légitime de suspendre la relation privilégiée entre l’Europe et Israël, conclue à l’issue du Conseil européen à Essen en 1994. En effet, dans la mesure où les accords d’association apparaissent comme conditionnels, le non-respect flagrant des droits de l’homme et le non-avancement dans la solution à deux États devrait modifier la relation entretenue entre les deux parties. Or, cette conditionnalité apparaît pleinement ignorée, alors même qu’elle est au cœur des autres accords d’association, conclus entre l’UE et les autres pays du pourtour méditerranéen.  Il convient de noter que l’Europe semble entrer dans une configuration où elle apparaît complice du détournement assumé de ses principes fondateurs, en acceptant une européanisation sélective dictée par Israël : harmonisation technique et scientifique, mais en dehors de tout cadre politique lié aux droits des minorités, à l’immigration et au processus de paix.[4] De surcroît, la suspension du commerce avec les colonies israéliennes dans les territoires palestiniens occupés constituerait également une avancée toute particulière, alors même que son interdiction a été promue en février 2025 par Amnesty International et près de 162 autres organisations de la société civile.[5] Par conséquent, au vu de tous les manquements, il apparaît évident que la sanction économique constitue un levier de premier plan, resté pourtant inutilisé jusqu’à présent, alors même qu’elle a été employée à profusion contre la Russie. 

Bien que les pays européens semblent plus que jamais désireux d’entrer dans cette voie de la reconnaissance de l’État de Palestine, la réalité empêtre un peu plus la possibilité d’une reconnaissance des deux États.

Le levier diplomatique et juridique

L’autorisation du survol des espaces aériens de pays signataires du statut de Rome constitue à nouveau un manquement. Si des mesures d’interdiction de survol de ces espaces aériens étaient mises en place, elles contribueraient à accroître l’isolement de l’actuel gouvernement israélien sur le plan diplomatique, en raison du mandat d’arrêt international émis par la Cour Pénale Internationale à l’encontre du Premier ministre israélien. 

Là encore, l’Europe agit de manière trouble. Si l’autorisation du survol des espaces aériens européens est conférée, les enjeux de maintien de relations diplomatiques y sont invoqués. Or, la même explication n’a pas été donnée en Europe sur le cas russe. En matière de double standard, si l’Europe n’en est pas à son coup d’essai, l’enjeu du respect des mandats d’arrêt internationaux est la matrice du fondement de l’État de droit. En appliquant une double position sur les mandats d’arrêt internationaux émis à l’encontre du président russe Vladimir Poutine et du Premier ministre israélien, l’Europe décrédibilise sa position dans les pays du Sud, et entraîne les valeurs européennes dans un univers d’incertitude. Quant à eux, certains pays du Sud demeurent paradoxalement les garants du droit international, établis par les pays du Nord. Notons l’initiative du groupe de la Haye, qui envisage depuis janvier 2025, de faire appliquer les mesures juridiques émises par la CPI, en relation avec le conflit israélo-palestinien : un exemple que l’UE devrait prendre. 

Le levier symbolique

Des actions symboliques, comme l’exclusion de la participation d’Israël ou l’obligation de concourir sous bannière neutre, seraient une preuve d’engagement en faveur du respect du droit international. À la lumière de l’exclusion de la Russie de compétitions sportives ou culturelles, un retrait de la participation d’Israël d’événements internationaux accroîtrait la pression des opinions publiques sur le gouvernement israélien en vertu du respect du jus in bello. La dernière participation d’Israël à l’Eurovision a suscité à ce titre une vague de critiques parmi la société civile européenne, ne comprenant pas ce double discours sur l’interdiction de participation de la Russie, mais pas celui d’Israël. 

Le levier politique 

Sommes-nous en passe de voir une pression s’exercer au moyen d’une reconnaissance de l’État de Palestine ? Si depuis 2023, une vague de reconnaissance s’enchaine parmi les pays européens — incluant l’Espagne, l’Irlande, la Norvège et la Slovénie —, le manque de réconciliation intra-palestinienne entre le Hamas et l’Autorité palestinienne joue en défaveur de toute reconnaissance de la Palestine par l’Angleterre, la France ou l’Allemagne, ce à quoi l’administration Netanyahu a subtilement joué sur cette division entre les deux groupes pour enliser un peu plus toute issue à la question palestinienne.[6] Bien que les pays européens semblent plus que jamais désireux d’entrer dans cette voie de la reconnaissance de l’État de Palestine, la réalité empêtre un peu plus la possibilité d’une reconnaissance des deux États. 

Un soutien européen aux processus de normalisation avec le monde arabe devrait être conditionné à une avancée majeure sur la question palestinienne, laquelle constitue une nécessité face à l’enlisement actuel.

Cela étant, une conférence internationale sur la Palestine, qui devait être présidée par la France et l’Arabie saoudite, a été reportée à une date ultérieure face au déclenchement de la « guerre des douze jours » par Israël contre l’Iran. Cet événement international permettrait d’accroître la visibilité autour de la Palestine. Si les accords de normalisation ont marqué une avancée majeure dans les relations entre Israël et le monde arabe, ils montrent toutefois leurs limites dans la mesure où ils sont souvent envisagés en faisant abstraction d’une paix avec les Palestiniens.[7] Un soutien européen aux processus de normalisation avec le monde arabe devrait être conditionné à une avancée majeure sur la question palestinienne, laquelle constitue une nécessité face à l’enlisement actuel.

De toute évidence, si l’UE venait à agir en mobilisant ses différents leviers de pression, son action serait vraisemblablement mal interprétée. Si l’Europe ne tend pas à dissocier son soutien à l’égard d’Israël à long terme, le gouvernement Netanyahu actuellement en place embarrasse l’Europe et la démocratie israélienne, dans une situation plus qu’inconfortable, et il est apparaît évident qu’un changement profond de gouvernance en Israël serait souhaitable, tant pour la société israélienne qu’européenne, au vu des dégâts causés tant par la guerre à Gaza que par les pratiques autoritaires du gouvernement israélien. Quoi qu’il en soit, le recours à des pressions économiques et politiques reste la seule voie pour faire évoluer la situation au Proche-Orient et sauvegarder le modèle européen, aujourd’hui en proie à un vacillement durable.

Washington face à l’Europe : le pouvoir de la contre-pression

Si depuis l’élection présidentielle de Donald Trump en novembre 2024, le camp républicain se fracture au sujet du soutien à apporter au gouvernement Netanyahu, tout écart de la position de soutien d’Israël est sanctionné. Faisant les frais de cette politique, les organismes pénaux internationaux, qui ont émis des mandats d’arrêt internationaux contre des personnalités politiques israéliennes, ont subi des menaces, pressions, et sanctions de la part de l’administration américaine. Depuis juillet 2025, une pression multiforme s’étend sur toutes les personnes physiques et morales qui s’en prennent à l’égard d’Israël. La rapporteuse spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens a fait l’objet d’une mise sous sanction de la part de l’administration américaine depuis la parution de son dernier rapport sur la complicité des entreprises occidentales dans le génocide à Gaza.[8] Le secrétaire d’État Marco Rubio témoignait sur son compte X « la campagne de guerre politique et économique menée par Albanese contre les États-Unis et Israël ne sera plus tolérée. Nous soutiendrons toujours nos partenaires dans leur droit à la légitime défense ».[9]

Le lobbying effectué par les États-Unis au sein de l’UE porte ses fruits puisque aucune mesure n’a encore été adoptée pour faire pression sur Israël

Faisant face à cette mise sous pression de tout écart de la position américaine, l’Union européenne tend à reculer pour éviter toute mise sous sanctions, alors même que l’administration américaine a annoncé en ce début juillet que la politique tarifaire imposée à l’égard de l’Union européenne comprendra une taxation à hauteur de 30 % sur les exportations européennes vers les États-Unis. Si des individus et organismes onusiens ont été déjà publiquement sanctionnés, une mise sous sanctions et/ou une augmentation de la politique tarifaire sur l’Union européenne ne ferait qu’accroître la pression politique et économique sur l’Europe et leurs dirigeants pour ne pas s’ingérer dans le conflit israélo-palestinien. Dans une certaine mesure, il apparaît que le lobbying effectué par les États-Unis au sein de l’UE porte ses fruits puisque aucune mesure n’a encore été adoptée pour faire pression sur Israël. La difficulté d’une décision prise à l’unanimité à l’encontre d’Israël empêche la probabilité d’action compte tenu de la position pro-israélienne de certains États européens, à l’image de la Hongrie.[10]

Puisque l’inaction des institutions européennes paralyse l’application du droit international, la société civile apparaît comme le moteur d’une nouvelle dynamique, cherchant à rompre avec la fébrilité de l’UE. Face à cette inaction de l’UE, une organisation de juristes est déjà montée au créneau contre l’instance supranationale, en déposant un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne, le 16 juillet 2025.[11] Si l’idéal humanitaire vacille, sa préservation repose assurément sur l’action de la société civile, dernier acteur à se mobiliser concrètement pour exiger le respect du droit international.

M.F

Bibliographie

[1] AZIZI Hamidreza, VAN VEEN Erwen. « The EU’s response to Israel’s assault on Iran : The justified, the hypocritical and the vacuous ». Clingendael, 1 juillet 2025 (https://www.clingendael.org/publication/eus-response-israels-assault-iran-justified-hypocritical-and-vacuous

[2] Données issues de la plateforme de la Commission européenne : « EU Trade with Israel », Trade and Economic Security (https://policy.trade.ec.europa.eu/eu-trade-relationships-country-and-region/countries-and-regions/israel_en)

[3] DE GRAFFENRIED Valérie. « Israël viole l’accord d’association avec l’UE. Mais les Vingt-Sept refusent de prendre des sanctions ». Le Temps, 16 juillet 2025

[4] DU PLESSIX Caroline. « The European Union and Israel. A lasting and ambiguous »special » relationship ». Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, No. 22, 2011, p. 10

[5] « Israel/OPT : Ban EU Trade and Business with Israel’s Illegal Settlements in the OccupiedPalestinian Territory ». Amnesty International, 4 février 2025 

[6] DAOUD Sarah. « Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche vers un nouveau simulacre de plan de paix pour le conflit israélo-palestinien ? » in ABIDI Hasni (dir.). Le Moyen-Orient selon Donald Trump. Paris, Éditions Erick Bonnier, 2025, pp. 53-63

[7] AKGÜL-AÇIKMESE Sinem, ÖZEL Soli. « EU Policy towards the Israel-Palestine Conflict : The Limitations of Mitigation Strategies ». The International Spectator, Vol. 59, No. 1, 2024, p. 64

[8] ALBANESE Francesca. « From economy of occupation to economy of genocide ». UNHCR, 30 juin 2025 (https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/hrbodies/hrcouncil/sessions-regular/session59/advance-version/a-hrc-59-23-aev.pdf

[9] Message de Marco Rubio sur la plateforme X, le 9 juillet 2025 (https://x.com/secrubio/status/1942998936874054046?s=12&t=1hOGr-SFwpvpZamPR3whmg). 

[10] AKGÜL-AÇIKMESE Sinem, ÖZEL Soli. « EU Policy towards the Israel-Palestine Conflict : The Limitations of Mitigation Strategies », op.cit., pp. 65-67

[11] BOUHOT Florian. « Gaza : une association d’experts en droit international intente une action en justice face à l’ « inaction grave » de l’UE ». Le Parisien, 16 juillet 2025

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