ANALYSE

L’UNRWA dans tous ses états: quel avenir pour l’action humanitaire de l’ONU auprès des réfugiés palestiniens?

Alors que la guerre à Gaza s’enlise depuis le 7 octobre 2023, les pertes civiles ne cessent d’augmenter. Malgré son mandat onusien, l’UNRWA se retrouve aujourd’hui menacée dans son existence même, au moment où plusieurs États contributeurs suspendent ou réduisent drastiquement leur financement. Dans ce contexte, l’action humanitaire fait dès lors face à des défis croissants, interrogeant la capacité du droit international humanitaire à garantir la protection des civils en temps de guerre.

Introduction

         Depuis le 7 octobre 2023, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche Orient (UNRWA) a vu son autonomie contestée par des pressions étatiques. Fondé en 1949 après l’exil des populations palestiniennes, l’UNRWA a délivré une aide substantielle aux réfugiés palestiniens dans les camps humanitaires présents au Proche-Orient, en particulier dans les territoires palestiniens eux-mêmes. Toutefois, 76 ans après sa création, l’agence n’a jamais suscité autant de controverses parmi les membres de la communauté internationale.[1] Alors que le droit humanitaire international impose la protection des civils et l’accès à l’aide, l’UNRWA se retrouve au centre d’une logique de disqualification politique et symbolique.

Si Israël avait déjà critiqué l’organisme par le passé, les États-Unis ont désormais coupé toutes les aides économiques – pourtant nécessaires afin d’éviter toute catastrophe humanitaire – tandis que d’autres pays européens ont suivi le mouvement, au grand dam de l’action humanitaire. Parallèlement, le retour de Donald Trump à Washington a entrainé le démantèlement de l’agence d’aide au développement international (USAID) qui avait démontré son utilité pour les pays du Proche-Orient en contribuant à leur stabilité. Désormais, le plus grand pourvoyeur d’aide humanitaire a cessé d’assumer son rôle fondamental, au risque de provoquer une catastrophe humanitaire majeure. 

Alors que le droit humanitaire international impose la protection des civils et l’accès à l’aide, l’UNRWA se retrouve au centre d’une logique de disqualification politique et symbolique.

En outre, alors que l’action humanitaire connaît actuellement de profonds tumultes, les quatre années à venir s’annoncent particulièrement difficiles pour les populations civiles du Proche-Orient, déjà en proie à de profondes fragilités structurelles, face à l’affaiblissement du multilatéralisme. Il ne fait guère de doute que les Palestiniens devront faire face à une nouvelle politique coercitive, à l’image de la première administration Trump, laissant entrevoir ce que Sarah Daoud qualifie de « nouveau simulacre de plan de paix ».[2] Face à ces bouleversements, l’UNRWA est-elle en passe de connaître son « année zéro »[3], ou au contraire un destin mortifère ?

Dans ce cadre, il s’agira de mettre en évidence les enjeux juridiques de l’action humanitaire dans les territoires palestiniens, à travers le cas emblématique de l’UNRWA, afin de questionner la compatibilité entre sa mission, son mandat et les attaques qui la visent.  Notre analyse s’articulera autour de trois axes. Tout d’abord, il sera opportun de faire un retour sur l’utilité et les limites de l’agence, avant de mettre en perspective son statut au regard du droit international humanitaire. Il conviendra ensuite de proposer une lecture critique des accusations politiques dont elle fait l’objet, puis d’entamer une réflexion sur l’avenir juridique et diplomatique de son mandat, dans un contexte de remise en cause du droit humanitaire universel.

L’UNRWA: une agence imparfaite mais indispensable

Depuis son siège situé à Amman en Jordanie, les équipes de l’UNRWA coordonnaient notamment l’acheminement de l’aide humanitaire dans les territoires palestiniens occupés et à Gaza. Pour assurer ses missions, l’agence onusienne employait 27 000 personnes, dont la plupart étaient recrutées localement. L’histoire de l’UNRWA est alors intrinsèquement liée à celle des Palestiniens compte tenu de la très importante proportion de réfugiés palestiniens parmi ses membres.[4] Pourtant, paradoxalement, l’UNRWA se doit depuis sa fondation d’être apolitique alors qu’elle évolue dans un contexte ultra-politisé, compliquant davantage son action, quand ses gestes sont constamment scrutés.[5]

Avec les coupes budgétaires infligées par les États-Unis et certains pays européens, l’UNRWA est dans l’incapacité de prodiguer les soins les plus élémentaires à une population dans le besoin, tandis que l’enseignement aux enfants a été interrompu à cause de la guerre à Gaza.

Malgré ces défis, l’agence onusienne était parvenue, tout au long du XXe siècle, en plus de son action initialement humanitaire, à jouer un rôle de développement parmi les réfugiés ainsi que dispenser l’éducation aux plus jeunes au sein des structures d’enseignement. Toutefois, avec les coupes budgétaires infligées par les États-Unis et certains pays européens, l’UNRWA est dans l’incapacité de prodiguer les soins les plus élémentaires à une population dans le besoin, tandis que l’enseignement aux enfants a été interrompu à cause de la guerre à Gaza.[6] Comme en témoignait Philippe Lazzarini, le commissaire général de l’UNRWA, en privant d’éducation plusieurs centaines de milliers d’enfants « nous semons les graines pour davantage d’extrémisme ».[7]

Initialement imaginée comme une agence temporaire, l’UNRWA a vu son existence prolongée bien au-delà de ce qui était envisagé en 1949, malgré des prérogatives contradictoires dans son mandat initial.[9] Si certains avaient envisagé, dans le contexte des Accords d’Oslo en 1993, une éventuelle dissolution progressive en cas de résolution du statut des réfugiés, l’absence d’accord final a conduit au renouvellement régulier de son mandat, tous les trois ans, par l’Assemblée générale des Nations unies. L’agence a ainsi survécu à plusieurs crises majeures, notamment depuis la seconde Intifada. Pourtant, ses actions humanitaires sont désormais sous le feu des critiques depuis le 7 octobre 2023. 

À la suite de défaillances constatées dans l’organisation, une commission indépendante pilotée par Catherine Colonna a été mise en œuvre par le Secrétariat des Nations unies pour faire la lumière sur les dysfonctionnements de l’agence onusienne entre 2017 et 2022. Le rapport de cette commission est paru en février 2024, faisant état de « violation du principe de neutralité » par certains membres de l’UNRWA.[10]

Bien que les accusations de collusion entre des membres de l’UNRWA et le Hamas n’aient pas fait l’objet d’une documentation de la part d’Israël – qui, selon le rapport, n’a transmis aucune preuve à la commission indépendante – certaines critiques formulées par Israël, notamment concernant les manuels scolaires, reposent sur des éléments fondés. En effet, le rapport met en lumière qu’environ 4 % des manuels contenaient des éléments inappropriés, en violation du principe de neutralité, bien que cela reste « marginal », comme le souligne le document.[11] Tout en mettant en évidence les dysfonctionnements, le rapport insiste sur l’importance des actions d’enseignement par l’agence qui prodigue l’éducation à près de 500 000 enfants. 

L’UNRWA demeure un acteur sans équivalent dans la protection des réfugiés palestiniens. Pour des millions d’entre eux, elle incarne tant « une bouée de sauvetage humanitaire » qu’un ancrage symbolique d’une reconnaissance a minima de leur existence et de leurs droits.

Marquée par des imperfections, l’agence n’est pas exempte de critiques. Mais, loin d’ignorer ses limites, l’UNRWA s’est engagée, dès août 2024, à mettre en œuvre les 50 recommandations issues du rapport Colonna, dans une dynamique assumée de réforme interne.[12] Ce processus, toujours en cours, peut être interprété comme une tentative de résilience institutionnelle, c’est-à-dire la capacité de l’organisation à s’adapter, se réformer et survivre malgré des chocs politiques, financiers et médiatiques répétés. Nonobstant, l’UNRWA demeure un acteur sans équivalent dans la protection des réfugiés palestiniens. Pour des millions d’entre eux, elle incarne tant « une bouée de sauvetage humanitaire » qu’un ancrage symbolique d’une reconnaissance a minima de leur existence et de leurs droits.[13]

L’avenir de l’UNRWA à l’épreuve du DIH

Si l’UNRWA constitue historiquement l’un des piliers de l’assistance humanitaire aux populations concernées, son rôle, son mandat et sa protection juridique sont aujourd’hui soumis à l’épreuve des normes du droit international humanitaire (DIH). 

Une mission légitime sous protection du DIH

L’UNRWA, principale agence chargée de l’assistance aux réfugiés palestiniens et reconnue par l’ONU, est régie par sa résolution fondatrice (résolution 302 de l’Assemblée Générale des Nations unies, 1949)[14]ainsi que par les normes du droit international des réfugiés et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).

L’action de l’UNRWA repose juridiquement sur les principes fondamentaux du DIH, notamment les articles 59 et 60 de la Convention IV de Genève[15], qui exigent des parties au conflit qu’elles facilitent les secours humanitaires impartiaux destinés aux civils, à moins de risques militaires avérés. 

En plus de bénéficier d’une protection spécifique dans le cadre du droit international humanitaire (DIH), son mandat l’autorise à fournir aide humanitaire, éducation, soins médicaux et services sociaux aux réfugiés palestiniens. Son action repose juridiquement sur les principes fondamentaux du DIH, notamment les articles 59 et 60 de la Convention IV de Genève[15], qui exigent des parties au conflit qu’elles facilitent les secours humanitaires impartiaux destinés aux civils, à moins de risques militaires avérés. 

L’UNRWA, en tant qu’organisme des Nations unies, bénéficie également de la protection spéciale du personnel humanitaire et des installations onusiennes, conformément au Protocole additionnel I aux Conventions de Genève (article 71)[16] et au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (article 8 § 2 (b) (iii))[17], qui qualifie d’attaque illicite tout acte dirigé contre le personnel ou les installations humanitaires protégés par le droit international humanitaire. Ainsi, les attaques répétées contre les écoles, les centres de distribution ou les convois de l’UNRWA sont potentiellement constitutives de crimes de guerre, engageant la responsabilité pénale individuelle de leurs auteurs.

À cet égard, toute forme de blocus, de refus d’autorisation d’accès ou de destruction des convois humanitaires entravent les missions de l’UNRWA. Ces restrictions peuvent violer, l’article 23 de la Convention IV de Genève (livraison de vivres et de médicaments)[18], ainsi que les articles 54 et 70 du Protocole additionnel I de la Convention[19], qui interdisent d’affamer la population civile en privant l’accès humanitaire. En outre, l’article 71 du Protocole additionnel I (1977)[20] précise, quant à lui, que le personnel participant à des actions de secours humanitaires impartiales et non discriminatoires doit être respecté et protégé.  

Autrement dit, ces droits sont applicables même en situation de guerre : les parties ont l’obligation de permettre l’accès de l’UNRWA, sauf en cas de risque militaire immédiat. Le blocage total de l’aide, ou sa politisation, peut être qualifié de punition collective, interdite par l’article 33 de la Convention IV.[21]

De surcroit, les attaques ciblées contre les installations de l’UNRWA, ou l’utilisation de ses infrastructures à des fins militaires, posent une double question juridique :

1. Une attaque volontaire contre un bâtiment de l’ONU protégé peut constituer un crime de guerre ;

2. L’utilisation militaire d’un lieu protégé (comme une école) constitue un abus de statut civil, violant les principes de distinction et de proportionnalité. 

Face à ces violations, la Cour pénale internationale (CPI), compétente sur les territoires palestiniens, peut enquêter sur les attaques ou abus impliquant les missions de l’UNRWA, que ce soit par l’une ou l’autre des parties. [22]  Les attaques visant le personnel, les écoles, les hôpitaux ou les entrepôts de l’UNRWA pourraient être qualifiées de violations graves du DIH, voire de crimes de guerre si elles sont délibérées, disproportionnées ou systématiques. 

Défis juridiques

L’UNRWA fait l’objet de vives accusations de collusion supposée avec le Hamas, notamment en ce qui concerne l’utilisation d’installations civiles (écoles, hôpitaux) à des fins militaires, ainsi que le recrutement de personnel lié à des groupes armés. Bien que ces accusations ne soient pas systématiquement documentées ni juridiquement prouvées, elles ont conduit à la suspension de financements par plusieurs États (dont les États-Unis et l’Allemagne en janvier 2024)[23] et à un affaiblissement de sa capacité opérationnelle. 

Cependant, même si ces accusations font l’objet de controverses politiques et médiatiques, elles posent une question juridique précise qui est la suivante : L’UNRWA viole-t-elle, volontairement ou par négligence, le principe de neutralité humanitaire en tant qu’organisation onusienne ?[24]

Aucune règle du DIH n’autorise la suppression de l’accès humanitaire sur la base de soupçons ou de pressions politiques, tant que l’aide demeure impartiale et proportionnée aux besoins.

En effet, le droit humanitaire impose aux acteurs humanitaires l’impartialité, la neutralité et l’indépendance, principes énoncés dans la résolution 46/182 de l’ONU[25] et réaffirmés par le droit coutumier. Si des éléments établissaient une participation directe ou une complicité active de l’UNRWA avec des groupes armés, sa mission pourrait être juridiquement réévaluée. Toutefois, aucune règle du DIH n’autorise la suppression de l’accès humanitaire sur la base de soupçons ou de pressions politiques, tant que l’aide demeure impartiale et proportionnée aux besoins.

Le droit à l’assistance humanitaire et la responsabilité des paries au conflit

En tant que puissance occupante et partie au conflit, Israël a l’obligation, au regard de l’article 59 de la Convention IV de Genève[26], de garantir l’accès humanitaire aux populations civiles et de ne pas conditionner l’aide à des considérations militaires ou politiques. Les restrictions imposées à l’action de l’UNRWA, notamment dans la bande de Gaza, soulèvent des interrogations juridiques sérieuses. Lorsqu’elles compromettent l’acheminement de l’aide impartiale, ces pratiques peuvent être interprétées comme des violations du droit international humanitaire, voire, dans certains cas, comme des formes de punition collective interdites par l’article 33 de la même Convention.[27]

De la même manière, toute entrave à la distribution d’aide humanitaire dans des conditions impartiales constitue une violation des règles coutumières du DIH (règle 55 du CICR)[28], et les États donateurs, en suspendant leur financement sur la base d’accusations non établies, pourraient être accusés de manquement à leur obligation de coopérer au respect du DIH (article 1 commun aux Conventions de Genève).[29]

Vers une réforme ou une internationalisation du mandat ?

Face à ces tensions juridiques et politiques, l’avenir de l’UNRWA semble osciller entre résilience institutionnelle et refonte structurelle. Certains plaident pour une intégration progressive de ses fonctions dans le système du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR)[30], afin d’unifier la protection des réfugiés sous un cadre global. D’autres estiment que cela reviendrait à effacer la spécificité juridique du statut des réfugiés palestiniens, pourtant reconnu par l’Assemblée générale.[31]

Juridiquement, toute modification du mandat de l’UNRWA nécessiterait une résolution de l’Assemblée générale, en conformité avec l’article 10 de la Charte des Nations unies.[32] Une telle réforme devrait aussi garantir le respect du droit au retour ou à une compensation pour les réfugiés palestiniens, comme énoncé dans la résolution 194 (III)[33], tout en maintenant l’obligation humanitaire immédiate de protection et de secours, au titre du DIH et du droit international des droits humains.

Finalement, l’avenir de l’UNRWA, à l’épreuve du droit international humanitaire, dépend de sa capacité à maintenir son mandat dans un respect strict des principes de neutralité, d’impartialité et d’indépendance, mais également de la volonté des parties au conflit et de la communauté internationale à respecter et faire respecter le droit à l’assistance humanitaire. Dans un contexte de guerre asymétrique, de politisation des secours et de polarisation diplomatique, l’UNRWA demeure un acteur protégé par le DIH, et toute atteinte à sa mission ou à son personnel engage non seulement des responsabilités politiques, mais potentiellement aussi pénales devant les juridictions internationales.

La fin de l’UNRWA: une catastrophe humanitaire annoncée

Depuis le début de la guerre à Gaza, les actions militaires israéliennes ont conduit à la mort de plus de 50 000 Palestiniens, en date du 3 avril 2025, tandis que l’UNRWA confirme le déplacement de plus de 90 % des 1,9 million d’habitants dans la Bande de Gaza.[34] Au regard de cette situation plus qu’alarmante, l’agence onusienne a déjà pu fournir des soins inestimables aux blessés – qui sont estimés à 111 000 par le bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, selon les données recueillies auprès du ministère de la santé palestinien de Gaza.[35]  Le cessez-le-feu entré en vigueur le 19 janvier 2025 avait fait naître un espoir pour les organisations humanitaires. Toutefois, celui-ci a été de courte durée, Israël l’ayant rompu le 17 mars 2025. 

L’article 49 de la Convention IV de Genève interdit les transferts forcés de population par une puissance occupante

Après avoir voulu déplacer plus de deux millions de Palestiniens de Gaza en Égypte et en Jordanie, au risque de contrevenir à l’article 49 de la Convention IV de Genève, qui interdit les transferts forcés de population par une puissance occupante[36], les administrations américaine et israélienne font face au refus catégorique des États arabes. Ces mesures, si elles étaient mises en œuvre, pourraient s’apparenter à des pratiques de nettoyage ethnique, prohibées par le droit international humanitaire et condamnées par les résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU.[37] Un plan alternatif proposé par la Ligue arabe, prévoyait des investissements à hauteur de 53 milliards de dollars échelonnés sur cinq années à Gaza.[38] Cependant, ce plan a été rejeté par les États-Unis et Israël, bien que soutenu par la France. Dans cette nouvelle impasse, l’UNRWA tente, malgré ses maigres moyens, d’éviter une nouvelle hécatombe depuis la reprise des opérations militaires israéliennes. 

Avec les coupes budgétaires auxquelles l’UNRWA est confrontée, ses interventions seront encore plus sévèrement limitées – à l’image du retrait américain de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), entériné par un décret du 21 janvier 2025, qui a durement affecté ses finances. Ainsi, afin de prévenir un effondrement aux conséquences humanitaires désastreuses, les États signataires des Conventions de Genève ont la responsabilité de proposer une solution de repli. À défaut, la disparition progressive de l’UNRWA risquerait de fragiliser durablement le droit international humanitaire. Dans ce cadre lourd de conséquences, la suspension des services et soins prodigués par l’UNRWA à travers le Proche-Orient viendrait aggraver des vulnérabilités déjà persistantes, affectant durement la situation intérieure du Liban, de la Syrie, de la Jordanie, de l’Égypte, ainsi que des territoires palestiniens. Dès lors, il apparaît que le sort de l’organisation dépend désormais de la volonté politique des États, dans la mesure où son financement repose quasi exclusivement sur des contributions volontaires d’origine étatique.

Conclusion

Après quasiment un siècle d’existence, l’UNRWA lutte à la fois pour sa survie, pour la reconquête de sa légitimité, et pour continuer à secourir celles et ceux qu’elle aide sur le terrain au Proche-Orient. À l’heure où les États occidentaux s’interrogent sur le maintien de leur soutien économique et politique, l’humanitaire peut-il encore incarner les idéaux de l’humanisme ? 

Alors que de nombreux pays européens avaient coupé leur contribution à l’égard de l’UNRWA, une part notable d’entre eux a repris leur financement, notamment à cause d’une opinion populaire désapprouvant cette mesure, tout en soulevant l’importance de l’action humanitaire. Certains pays arabes, ayant normalisé leurs relations avec Israël, ont toutefois exprimé publiquement leur désapprobation à l’égard de la conduite de la guerre à Gaza, notamment en raison des conséquences humanitaires, sous la pression de leurs opinions publiques attachées à la cause palestinienne.

Le renoncement à l’UNRWA peut ainsi être interprété, en substance, comme un renoncement à l’universalité des droits de l’Homme et du droit humanitaire – à ce que nous prétendons défendre depuis plus d’un siècle.

Le réveil des opinions publiques face à la souffrance prolongée des civils apparaît donc comme un moteur politique et moral de la protection des organismes humanitaires, travaillant à la protection des populations et au maintien de la dignité humaine. Face à ce dilemme de la parole, le choix du silence équivaut à une démission morale. Comme l’écrivait Tahar Djahout : « Le silence, c’est la mort, et toi, si tu te tais, tu meurs et si tu parles, tu meurs. Alors dis et meurs ! ». Cette liberté de parole, que garantissent les démocraties occidentales, est une chance que d’autres ne possèdent pas. Encore faut-il avoir le courage de la saisir, même lorsque cela dérange, car c’est aussi de cette parole que dépend la survie de l’idéal humanitaire.

Si Bertrand Badie considère que le « mépris crée la méfiance » tandis que « l’humiliation est source de péril »[39], alors détruire un organisme qui œuvre pour la protection des réfugiés palestiniens ne ferait qu’accentuer la fracture au sein d’un Proche-Orient de plus en plus éclaté.[40] Détruire une institution humanitaire sous prétexte d’imperfection revient à sacrifier l’humanisme sur l’autel d’une rigueur politique à géométrie variable. Que reste-t-il alors de cet humanisme lorsque l’action humanitaire devient conditionnelle, sélective, ou pire, punitive ? Le renoncement à l’UNRWA peut ainsi être interprété, en substance, comme un renoncement à l’universalité des droits de l’Homme et du droit humanitaire – à ce que nous prétendons défendre depuis plus d’un siècle.

Par : Maxime Fritsch, assistant de recherche au CERMAM 

Garam Park-Yi est étudiante en Master de Science Politique, majeure Relations Internationales, à l’École de la Recherche de Sciences Po Paris. Passionnée par les missions des Nations Unies et les enjeux de régulation globale, ses recherches actuelles portent sur l’évolution du système international contemporain, en lien avec la gouvernance mondiale et les enjeux de juridiction internationale. École de la Recherche de Sciences Po Paris 


[1] AL HUSSEINI Jalal. “UNRWA and the Refugees: A Difficult but Lasting Marriage.” Journal of Palestine Studies, 40/1, 2010, pp. 6-26.

[2] DAOUD Sarah. “Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche : vers un nouveau simulacre de plan de paix pour le conflit israélo-palestinien ?” in ABIDI Hasni. Le Moyen-Orient selon Donald Trump. Paris, Éditions Erick Bonnier, 2025, pp. 53-63.

[3] L’expression « année zéro » est empruntée au titre du film Allemagne année zéro de Roberto Rossellini (1948), qui évoque la rupture radicale de l’Allemagne avec son passé à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Par analogie, on peut se demander si l’UNRWA est aujourd’hui confrontée à une forme de renaissance, synonyme de refondation ou, au contraire, de disparition.

[4] ROY Julia. L’ONU et les réfugiés palestiniensLe rôle de l’UNRWA. Paris, L’Harmattan, 2016, pp. 89-98

[5] BOCCO Riccardo. “UNRWA and the Palestinian Refugees: A History Within History.” Refugee Survey Quarterly, 28/2, 2009, pp. 232-233.

[6] HANCOCKS Paula, et al. “Education in ruins: Gaza’s children on losing their right to learn.” CNN, 29 mars 2025.

[7] AFP. “UNRWA chief confident is on ‘right side of history’.” France 24, 17 mars 2025.

[8] DELL’ACQUA Audrey. “De la responsabilité libanaise à la responsabilité internationale : la dépendance des réfugiés palestiniens à l’aide de l’UNRWA au Liban.” Mémoire du Master Moyen-Orient, no. 135, Global Studies Institute de l’Université de Genève, 2025, pp. 12-16. (https://www.unige.ch/gsi/files/8317/4237/3010/DellAcqua.pdf

[9] ROY Julia. op.cit., pp. 29-41.

[10] COLONNA Catherine. “Final Report for the United Nations Secretary-General. Independent Review of Mechanisms and Procedures to Ensure Adherence by UNRWA to the Humanitarian Principle of Neutrality.” 20 avril 2024, pp. 1-54. (https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/2024/04/unrwa_independent_review_on_neutrality.pdf)

[11] Ibid., pp. 28-30.

[12] UNRWA. “Colonna report and Action Plan. Key messages – August 2024.” UNRWA, 28 août 2024. (https://www.unrwa.org/sites/default/files/content/resources/final_colonna_report_key_messages_20240820.pdf)

[13] UNRIC. “Rapport Colonna : renforcer la neutralité de l’Agence d’aide aux Palestiniens.” UNRIC, 22 avril 2024. (https://unric.org/fr/rapport-colonna-renforcer-la-neutralite-de-lagence-daide-aux-palestiniens/)

[14] Nations unies. “Résolution 302 (IV) – Aide aux réfugiés de Palestine.” Assemblée générale des Nations unies, 8 décembre 1949. (https://undocs.org/en/A/RES/302(IV)

[15] Comité international de la Croix-Rouge (CICR). “Convention IV de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.” Genève, 12 août 1949, articles 59 et 60. (https://ihl-databases.icrc.org/en/ihl-treaties/gciv-1949

[16] CICR. “Protocole additionnel I aux Conventions de Genève du 8 juin 1977 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux.” Genève, article 71. (https://ihl-databases.icrc.org/en/ihl-treaties/api-1977

[17] Cour pénale internationale (CPI). “Statut de Rome de la Cour pénale internationale.” La Haye, 17 juillet 1998, article 8 §2(b)(iii) (https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/RS-French.pdf)

[18] CICR. “Convention IV de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.” op.cit.

[19] CICR. “Protocole I additionnel aux Conventions de Genève du 8 juin 1977.” op.cit.

[20] CICR. “Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949, art. 54 et 70.” Genève, 8 juin 1977.
(https://ihl-databases.icrc.org/en/ihl-treaties/api-1977

[21] Comité international de la Croix-Rouge (CICR). “Convention de Genève IV relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.” Genève, 12 août 1949, article 33. (https://ihl-databases.icrc.org/en/ihl-treaties/gciv-1949

[22] Cour pénale internationale (CPI). “Statut de Rome de la Cour pénale internationale.” La Haye, 17 juillet 1998, art. 8 § 2 (b) (iii) (https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/RS-French.pdf

[23] AFP. “L’Allemagne et les États-Unis suspendent leur financement à l’UNRWA en janvier 2024.” France 24, 22 janvier 2024. 

[24] Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. “Code de conduite pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et les ONG.” Genève, 1994.
(https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/publication/p1067.htm

[25] Nations unies. “ Résolution 46/182 – Renforcement de la coordination de l’aide humanitaire d’urgence des Nations unies.” Assemblée générale des Nations unies, 19 décembre 1991. (https://undocs.org/fr/A/RES/46/182)

[26] Comité international de la Croix-Rouge (CICR). “Convention de Genève IV relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.” Genève, 12 août 1949, articles 1, 59. (https://ihl-databases.icrc.org/en/ihl-treaties/gciv-1949

[27] Ibid., articles 1, 33.

[28] CICR. “Base de données du droit international humanitaire coutumier.” Règle 55 : Accès humanitaire pour les secours à caractère humanitaire.” Comité international de la Croix-Rouge, 2005.

[29] Comité international de la Croix-Rouge (CICR). “Article 1 commun aux Conventions de Genève : obligation de respecter et faire respecter le droit international humanitaire.” Genève, 1949. (https://ihl-databases.icrc.org/en/customary-ihl/v1/rule139

[30] HUT Eléonore. “Migrations environnementales : un phénomène structurel à intégrer dans l’agenda global du développement.” Forum Réfugiés-Cosi – L’asile en France et en Europe, 2018. (https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/242282/1/Forum%2Br%C3%A9fugi%C3%A9s-Cosi_Etat%2Bdes%2Blieux%2B2018.pdf

[31] MANSOUR Sarah. “L’ONU et les Palestiniens : de l’ambiguïté à l’impuissance.” Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 2019. (https://journals.openedition.org/chrhc/10413)

[32] Charte des Nations unies. Article 10., 1945. (https://www.un.org/fr/about-us/un-charter/full-text)

[33] Nations unis. “Résolution 194 (III) – Palestine – Rapport intérimaire du Médiateur des Nations unies.” Assemblée générale des Nations unies, 11 décembre 1948. (https://digitallibrary.un.org/record/210025?ln=fr&v=pdf

[34] UNRWA. “UNRWA Situation Report #163 on the Humanitarian Crisis in the Gaza Strip and the West Bank, including East Jerusalem.”UNRWA, 15 mars 2025. (https://www.unrwa.org/resources/reports/unrwa-situation-report-163-situation-gaza-strip-and-west-bank-including-east-jerusalem

[35] OCHA. “OCHA, Reported impact snapshot | Gaza Strip (3 avril 2025).” OCHA, 3 avril 2025. (https://www.ochaopt.org/content/reported-impact-snapshot-gaza-strip-3-april-2025

[36] Comité international de la Croix-Rouge (CICR). “Convention de Genève IV relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.” Genève, 12 août 1949, article 49. (https://ihl-databases.icrc.org/en/ihl-treaties/gciv-1949

[37] Nations unies. “ Résolution 47/121 – La situation en Bosnie-Herzégovine.” Assemblée générale des Nations unies, 18 décembre 1992. (https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n93/213/53/img/n9321353.pdf

[38] France 24. “Reconstruction de Gaza : un plan des pays arabes à 53 milliards de dollars”. France 24, 4 mars 2025. 

[39] BADIE Bertrand. L’Art de la paix. Paris, Flammarion, 2024, pp. 69-89.

[40] Voir, parmi ses œuvres majeures, l’ouvrage en deux tomes de l’historien Georges Corm (1940–2024), Le Proche-Orient éclaté. 1956–2012. Paris, Éditions La Découverte, 2012.

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