
Au gré des bouleversements rencontrés par le Moyen-Orient depuis le 7 octobre 2023 et l’escalade entre l’Iran et Israël, la région du Golfe arabo-persique est en proie à une instabilité grandissante, inédite depuis la crise du Golfe, lorsque les tensions liées au blocus du Qatar divisaient les monarchies du Conseil de coopération du Golfe. L’inquiétude est tout aussi grandissante depuis que Donald Trump a évoqué publiquement en décembre 2024 la possibilité d’une action offensive contre l’Iran[1], ce qui a réjoui Benyamin Netanyahu, partisan d’un Iran dénucléarisé par la force. Sommes-nous aux prémices d’une nouvelle crise pouvant déstabiliser encore plus une région déjà profondément affectée par l’affrontement entre l’Iran et Israël, à l’image du conflit entre l’Iran et l’Irak, il y a plus de quarante ans, qui mettait à feu et à sang le Golfe ?
Pour éviter un tel marasme, qui a hanté la région par le passé, la diplomatie omanaise a été très précieuse depuis l’avènement de la République Islamique d’Iran, en engageant des médiations ou en les facilitant sur son territoire par leurs bons offices. La reconnaissance internationale de son travail de l’ombre s’est perçue à travers son travail acharné lors des négociations sur le nucléaire iranien permettant d’éviter au début des années 2010 un engrenage infernal, finalement évité avec l’accord de Vienne de 2015. Rappelons-nous que l’intervention du Secrétaire général des Nations unies allait dans ce sens quand celui-ci déclara en 2020 à propos du rôle d’Oman dans la crise au Yémen : « le Sultanat représente un modèle unique, non seulement au Moyen-Orient, mais aussi dans le monde ».
Le réalisme omanais vis-à-vis de la République Islamique d’Iran
Grâce à une politique étrangère fondée sur l’équilibre des puissances, en particulier entre l’Iran et l’Arabie saoudite, le Sultanat a pu se positionner en tant qu’acteur unique, par ses efforts déployés pour éviter un embrasement du Golfe[2]. Pour parvenir à ses fins, l’ancien sultan Qabus bin Said souhaita intégrer l’Iran dans son paysage régional afin d’éviter au maximum sa déviance normative en vertu de la théorie de l’intégration. Qabus déclarait en 1997 à propos de la politique américaine du double-endiguement de l’Iran et de l’Irak au Moyen-Orient que « l’Iran en tant que plus grand pays du Golfe, avec 65 millions d’habitants. Vous ne pouvez pas l’isoler »[3]. Si la déviance normative s’explique en partie par un défaut d’intégration régionale, du fait de la marginalisation des États voisins selon Soraya Sidani[4], Qabus essayait ainsi, au contraire, d’intégrer l’Iran dans le paysage régional pour limiter ses comportements déviants. En vertu de cette idée, le dirigeant omanais avait donc privilégié la diplomatie à la coercition.
À ce titre, la première visite du dirigeant omanais à Téhéran depuis l’avènement de la République Islamique d’Iran eut lieu en 2009, en pleine crise du nucléaire iranien, quand Mascate jouait un rôle clé dans les discussions et négociations menées sur son sol, alors que les deux régimes entretenaient des relations très proches depuis les années 1980, favorisées par un accord de coopération militaire conjoint en 1998. Cette visite témoignait ainsi d’une nouvelle phase dans leur relation, en réponse à l’instabilité régionale croissante.
Le successeur de Qabus, Haytham bin Tariq, a conservé le réalisme pragmatique qui caractérisait la politique étrangère omanaise, mêlant à la fois des discussions avec les interlocuteurs régionaux et des tentatives de promouvoir la paix en particulier au Yémen, affectant durablement les équilibres régionaux, notamment au Dhofar – région sud du Sultanat.
Le modèle qui était le sien parmi les monarchies du Golfe s’est même diffusé à son voisin saoudien, qui a adopté une approche réaliste en normalisant ses relations avec Téhéran en 2023, après avoir pris conscience qu’il était impossible de vaincre l’Iran sans causer des dégâts immenses à la sécurité régionale ainsi qu’aux projets de modernisation de la Vision 2030, portés par Riyad[5].
D’autant plus depuis la spirale conflictuelle entre l’Iran et Israël, le Sultanat s’active dans l’ombre pour remédier à une catastrophe régionale. Force est de constater que les ministres des Affaires étrangères iranien et omanais se sont rencontrés à deux reprises, entre octobre et décembre 2024, témoignant d’une volonté commune d’éviter, par tous les moyens, un engrenage. La réputation d’Oman dans le domaine diplomatique permet d’espérer que la diplomatie prenne l’avantage sur la coercition, comme en 2015 où le JCPOA l’avait démontré.
À maintes reprises, Mascate avait su éviter les bouleversements régionaux, quand le Sultanat avait contribué au maintien en vie de l’émirat qatari pendant le blocus du Qatar, en remplaçant les importations qataries en provenance des Émirats arabes unis et d’Arabie saoudite, qui avaient augmenté de 165% entre 2016 et 2018.[6] De surcroit, le cas de l’Iran l’a démontré dès la guerre Iran-Irak. Oman était un partenariat à entretenir durablement pour la théocratie afin de remédier à l’encerclement de son pays ; en servant aussi de hub de réexportation vers l’Iran pour faire face aux sanctions économiques imposées par Washington, au même titre que l’Émirat de Dubaï.
Tant pour le bloc occidental que pour l’Iran, le Sultanat demeure un artisan de la médiation grâce à sa neutralité qui le caractérise. Après la réussite de la médiation omanaise, aboutissant sur l’accord de Vienne de 2015, Richard Schmierer, ambassadeur américain en poste à Mascate de 2009 à 2012, considérait que les spécificités du Sultanat faisaient de lui l’un des meilleurs choix dans le monde arabe pour résoudre les crises[7].
Il convient toutefois de nuancer son statut dans la région, compte tenu de la place importante prise par le Koweït dans les négociations, en particulier depuis le blocus du Qatar[8], ainsi que par les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, qui désirent accroître leur influence au détriment d’Oman. La preuve en est que le Koweït a servi d’intermédiaire « au nom de tous les pays du Golfe » dans l’après-régime syrien de Bachar Al-Assad lors d’une visite de la délégation koweïtie, emmenée par le Secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe, à Damas, le 30 décembre 2024, pour rencontrer les nouvelles forces en présence du pays[9].
Face à l’assombrissement d’un retour sur le JCPOA sous le mandat du président Ebrahim Raisi, le régime iranien a tout de même désiré maintenir un dialogue avec son homologue américain, en étant engagé dans des négociations beaucoup plus modestes à nouveau à Mascate durant l’été 2023. Confirmant sa réputation auprès des deux puissances, Oman a une nouvelle fois servi de médiateur pour la libération de 5 otages américains détenus en Iran contre le dégel des avoirs iranien provenant de ventes de pétrole en Corée du Sud, pour un montant de 6 milliards de dollars[10]. L’année 2025 a également débuté avec la réussite de la médiation omanaise, qui dès janvier, a permis la libération de l’équipage du navire Galaxy Leader, dont les Houthis en avaient pris le contrôle en novembre 2023, signifiant le rôle central des autorités omanaises dans sa volonté d’apaisement[11].
Donald Trump et le dossier du nucléaire iranien. Qui choisir comme médiateur : Moscou, Riyad ou Mascate ?
Depuis l’investiture de Donald Trump le 20 janvier 2025, les liens entre Washington et Moscou se sont nettement améliorés après avoir été délétères sous le mandat de Joe Biden en raison de la guerre en Ukraine. Dans cette même veine, si le 47e président a confié la tâche de la médiation entre les États-Unis et l’Iran à Vladimir Poutine, l’Arabie Saoudite avait également proposé sa médiation sous l’entremise du prince héritier Mohammed bin Salman quelques jours auparavant en février 2025[12]. Cependant, avant cela, selon une source iranienne citée par le journal irakien Baghdad Alyum le 22 décembre 2024, Oman aurait été proposé par Donald Trump pour des discussions de haute importance en particulier sur le dossier du nucléaire avec l’Iran[13]. La volonté de certaines monarchies du Golfe de s’impliquer dans la médiation s’explique par leur crainte que la politique de « pression maximale » sur l’Iran ne compromette leurs ambitions de modernisation économique[14].
Si l’objectif de ce rapprochement américano-russe consiste à éloigner Vladimir Poutine de son allié chinois, la potentielle médiation russe dans le dossier du nucléaire iranien pourrait aussi entrainer Donald Trump à une volonté d’éloignement des liens entre Moscou et Téhéran[15]. Bien que Téhéran, Moscou et Pékin entretiennent une coopération pragmatique, comme l’analysent Dina Esfandiary et Ariane Tabatabai[16], des divergences persistantes subsistent entre ces trois puissances[17], notamment depuis la guerre russo-ukrainienne et l’affrontement entre l’Iran et Israël[18].
De la même manière, il n’est pas à exclure que le rapprochement entre Washington et Moscou suscite une préoccupation au plus haut niveau de l’État-major iranien. Dans ce cadre, le régime iranien pourrait être encore plus méfiant d’une médiation russe.
Dans le même temps, Mohammed bin Salman a offert sa médiation, misant sur les liens étroits qu’il entretient avec Donald Trump et son entourage. Cette proximité pourrait séduire Washington et lui permettre de s’imposer dans le rôle de médiateur, bien que Vladimir Poutine ait été officiellement nommé par Trump.
Si l’Arabie saoudite a entamé un rapprochement avec l’Iran en 2023, la méfiance persiste sur son rôle dans un dossier aussi stratégique que le nucléaire. En tant qu’alliée historique des États-Unis et acteur clé du Golfe, Riyad pourrait être perçue par Téhéran comme un médiateur ayant des intérêts divergents. Certes, Riyad désire contribuer au maintien sécuritaire régional en raison de sa Vision 2030 dans cette potentielle négociation, mais le régime iranien, et surtout le guide suprême Ali Khamenei fera-t-il confiance aux Saoudiens ou aux Russes pour conduire la médiation ? Là réside l’enjeu majeur.
En vertu de ces situations fluctuantes, et malgré le caractère de petit État d’Oman, le Sultanat constitue cependant un acteur non-partisan désireux de stabiliser le paysage régional. Contrairement à la Russie et à l’Arabie saoudite, le Sultanat, par sa taille modeste, peut préserver la discrétion des négociations, tout en ayant su se montrer, à maintes reprises, utile et fiable pour l’Iran.
Évoluant dans une région déstabilisée, l’Iran pourrait avoir l’objectif de rendre ces négociations secrètes, contrairement à Donald Trump qui a fait de la théâtralisation son mode d’action privilégié en diplomatie. L’humiliation télévisée du président ukrainien Volodymyr Zelensky à la Maison-Blanche le 28 février 2025 en est une illustration récente.
Doté d’une imprévisibilité qui pourrait nous faire envisager le pire, Donald Trump pourrait chercher à imposer la Russie comme médiateur en chef, bien que Téhéran puisse explorer des alternatives. Cette méfiance de Téhéran envers Moscou ou Riyad pourrait également amener l’Iran à conduire un deuxième canal de communication, dont Mascate pourrait démontrer son efficacité.
Si le Sultanat d’Oman est choisi à nouveau pour accueillir ces négociations à Mascate, une chose est sûre : la diplomatie omanaise tentera par tous les moyens de remédier à la nucléarisation de la région, qui pourrait entrainer l’Arabie saoudite ou la Turquie à vouloir se doter de l’arme suprême, dont la prolifération est restreinte par le traité de non-prolifération nucléaire de 1968.
Conclusion
En tout état de cause, il apparait qu’une négociation entre Washington et Téhéran reste inévitable face au retour de la politique américaine « pression maximale » sur l’Iran[19], bien que l’Ayatollah Khamenei semble réticent à entrer dans cette voie ; la nouvelle démission de l’ancien vice-président en charge des affaires stratégiques Mohammad Javad Zarif le 2 mars 2025 semble le confirmer au vu de sa posture d’engager des discussions avec l’Occident, comme il avait su le réaliser durant les négociations sur le nucléaire iranien en tant que chef de la délégation iranienne à partir de 2013. Face à cette administration républicaine plus coercitive, qui affiche un soutien sans faille à Israël, des frappes ciblées contre les installations nucléaires iraniennes pourraient encore aggraver l’instabilité régionale. À ce titre, le régime iranien avait déjà fait part en octobre 2024 qu’en cas de non-respect de la neutralité dans l’affrontement avec Israël, les monarchies du Golfe feraient l’objet de représailles[20].
Bien que Donald Trump ait annoncé, le 6 mars 2025, avoir transmis une lettre au guide suprême iranien pour engager une négociation sur le nucléaire, le régime iranien, par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères Abbas Araghchti, a martelé dès le lendemain que l’Iran n’engagerait « aucune négociation tant que la politique de pression maximale et ses menaces continueraient ».[21]
Depuis le regain de tensions en ce début mars, la pression sur l’Iran est désormais à son paroxysme, quand le président américain considère que plus aucune option n’est écartée. Pour calmer les ardeurs offensives de Donald Trump, le Premier ministre qatari a annoncé dans la foulée qu’une attaque contre les sites nucléaires iraniens contaminerait les eaux du Golfe arabo-persique, privant de facto les monarchies du Golfe en eau potable, en raison de leur dépendance au dessalement de l’eau[22].
Si le Sultanat parvient à démontrer la primauté de la diplomatie sur la coercition, il pourrait s’imposer comme un médiateur clé face à ses concurrents, principalement saoudiens et russes, contribuant ainsi à une stabilisation régionale au nom de tous. Reste à savoir si l’Arabie saoudite soutiendra pleinement cette approche ou cherchera à mener sa propre médiation. Une question demeure : la diplomatie arrivera-t-elle à s’imposer face à l’usage de la force, et si oui, avec quel médiateur ?
<<Maxime Fritsch>>
[1] CORTELLESSA Eric. “Donald Trump is TIME’s 2024 Person of the Year.” Time, 6 décembre 2024
[2] BAABOOD Abdullah. “Oman’s Independent Foreign Policy.” in ALMEZAINI Khalid, RICKLI Jean-Marc (dir.). The Small Gulf States. Foreign and security policies before and after the Arab Spring. Oxon, Routledge, 2017, pp. 107-122
[3] MILLER Judith. “Creating Modern Oman : An Interview with Sultan Qabus.” Foreign Affairs, 76/3, 1997, p. 14
[4] SIDANI Soraya. Intégration et déviance au sein du système international. Paris, Presses de Sciences Po, 2014, pp. 89-95
[5] PRIYA Lakshmi. “The changing foreign policy dynamics of GCC States: a study through the lens of positive interdependence.” Asian Journal of Middle Eastern and Islamic Studies, 18/1, 2024, pp. 32-47
[6] EL TAKI Karim. “Sanctions and Stigma: Regional and Global Ordering in the Gulf Crisis.” Middle East Critique, 2024, pp. 7-8
[7] SCHMIERER Richard. “The Sultanate of Oman and the Iran Nuclear Deal.” Middle East Policy, 22/4, 2015, pp. 113-114 et p. 120
[8] FRAIHAT Ibrahim. “Superpower and Small-State Mediation in the Qatar Gulf Crisis.” The International Spectator, 55/2, 2020, pp. 79-91
[9] Al Jazeera. “Syria FM says will visit Saudi Arabia in first official trip abroad.” Al Jazeera, 30 décembre 2024
[10] REES Wyn, RIZI Hossein Salimian. “Negotiating the Restoration of the Iran Nuclear Deal.” Middle East Policy, 31/3, 2024, pp. 69-81
[11] Déclaration du ministère des Affaires étrangères d’Oman du 22 janvier 2025 (https://www.fm.gov.om/through-omani-efforts-release-of-the-galaxy-leader-crew/).
[12] AL LAWATI Abbas. “Saudi Arabia seeks to mediate between Trump and Iran on new nuclear deal.” CNN, 16 février 2025
[13] Iran International. “Trump proposes high-level talks with Iran through Oman – Baghdad Alyoum.” Iran International, 22 décembre 2024
[14] DAZI-HÉNI Fatiha. “Les pays du Conseil de Coopération du Golfe et l’administration Trump 2.0. Des relations plus malaisées que prévues pour Riyad.” In ABIDI Hasni (dir.). Le Moyen-Orient selon Donald Trump. Paris, Éditions Erick Bonnier, 2025, pp. 119-135 et AL OMRAN Ahmed, CORNISH Chloe. “Gulf states wary of return to Donald Trump’s ‘maximum pressure’ against Iran.” Financial Times, 12 novembre 2024
[15] ABIDI Hasni. “Donald Trump, acte II. À quoi ressemblerait sa politique étrangère au Moyen-Orient ?” in ABIDI Hasni (dir.) Le Moyen-Orient selon Donald Trump. Paris, Éditions Erick Bonnier, 2025, pp. 38-42
[16] ESFANDIARY Dina, TABATABAI Ariane. Triple Axis. Iran’s relations with Russia and China. Londres, I.B. Tauris, 2018
[17] GRAJEWSKI Nicole. “An Illusory Entente: The Myth of a Russia-China-Iran “Axis”.” Asian Affairs, 53/1, 2022, pp. 164-183
[18] SMAGIN Nikita. “New Russia-Iran Treaty Reveals the Limits of Their Partnership.” Carnegie Endowment, 21 janvier 2025
[19] THERME Clément. “La République islamique d’Iran à l’épreuve d’une nouvelle administration Trump.” in ABIDI Hasni (dir.). Le Moyen-Orient selon Donald Trump. Paris, Éditions Erick Bonnier, 2025, pp. 137-150
[20] ENGLAND Andrew. “Tehran urges Gulf states to stay ‘neutral’ amid Israel tensions.” Financial Times, 11 octobre 2024
[21] AFP. “No talks with US under ‘maximum pressure’ policy, Iran FM tells AFP.” France 24, 7 mars 2025
[22] AFP. “Attack on Iran nuclear plant would leave Gulf without water, Qatar PM warns.” France 24, 8 mars 2025