
Bien que modeste par sa taille, le Qatar s’impose de plus en plus sur la scène internationale. Et ce n’est pas un hasard. Sa diplomatie proactive répond à une nécessité: compenser ses vulnérabilités[1]. Enclavé dans une région hautement instable, dépourvu de profondeur stratégique, confronté à une aridité extrême, et l’insécurité alimentaire qui en résulte, le Qatar n’a d’autre choix que d’exister, et surtout, de s’imposer. Pour pallier ces fragilités, Doha a mis en place une politique multivectorielle mêlant soft et hard power, afin de garantir sa survie et se rendre indispensable au niveau géopolitique[2]. Cette stratégie repose en grande partie sur une diplomatie de la médiation, qui, à bien des égards, a porté ses fruits.
Le Qatar a, depuis longtemps, bâti sa diplomatie autour de la médiation sur le règlement des conflits régionaux
La diplomatie de la médiation
Félicité par António Guterres pour s’être imposé comme une nouvelle « plateforme de dialogue mondial »[3], le Qatar a, depuis longtemps, bâti sa diplomatie autour de la médiation. D’abord centrée sur le règlement des conflits régionaux, sa diplomatie se distingue dès les années 90 par des interventions entre Bahreïn et l’Arabie saoudite (1998-2000), puis entre l’Érythrée et le Soudan. Son influence s’affirme avec l’Accord de Doha au Liban en 2008 et son implication dans la guerre au Yémen (2007-2011).
L’émirat a depuis lors multiplié les leviers d’influence. Son outil médiatique, Al Jazeera, lui confère un poids considérable dans la formation des opinions publiques arabes et internationales. Sur le plan stratégique, il a su tisser des alliances solides avec des puissances occidentales. Son partenariat avec les États-Unis lui offre une couverture sécuritaire essentielle, notamment via la base militaire d’Al-Udeid[4], tandis que l’Europe dépend de son gaz pour réduire son exposition aux hydrocarbures russes. Mais c’est sans doute sa capacité à entretenir des liens avec des acteurs aux intérêts opposés qui distingue le plus Doha.
Cette posture lui a permis, notamment, de jouer un rôle important dans plusieurs dossiers sensibles. En Afghanistan, après des années d’efforts discrets, il a accueilli les négociations entre les talibans et les États-Unis, aboutissant à l’Accord de Doha en 2020. Ce texte entérinait le retrait progressif des troupes américaines en échange d’engagements des talibans, notamment la lutte contre le terrorisme[6]. En 2023, il a également facilité l’accord entre Washington et Téhéran pour l’échange de cinq prisonniers américains détenus par l’Iran. Ces derniers ont transité par le Qatar avant de rejoindre Washington, tandis qu’en contrepartie, cinq Iraniens ont bénéficié de mesures de clémence[7]. Cet échange s’inscrivait dans un cadre plus large de négociations indirectes entre Washington et Téhéran, facilitées par Doha, et incluant notamment la libération de six milliards de dollars d’avoirs iraniens gelés en Corée du Sud, transférés vers des comptes sous supervision qatarie[8]. Plus récemment, son rôle dans la libération d’otages et la facilitation des pourparlers entre Israël et le Hamas a symbolisé la confiance que les grandes puissances placent en sa diplomatie.
Cette capacité d’adaptation à ces différents acteurs conforte le Qatar dans son rôle de médiateur incontournable, apte à dialoguer avec des éléments perçus comme “infréquentables”[9] par les États occidentaux, tout en répondant aux exigences de stabilité régionale.
La politique de médiation n’est pas sans risques. Le Qatar est souvent accusé de mener une diplomatie opportuniste
Toutefois, cette politique de médiation n’est pas sans susciter certaines réserves. Le Qatar est parfois perçu comme menant une diplomatie pragmatique, dans laquelle la défense de ses intérêts nationaux peut primer sur les logiques idéologiques. Son soutien à certains acteurs politiques, notamment les Frères musulmans, a contribué à nourrir la méfiance de ses voisins, en particulier l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Bien que cette crise ait été résolue en 2021 avec la déclaration d’Al-Ula, elle a souligné la fragilité des alliances régionales et la nécessité pour Doha de diversifier ses partenaires.
Cette diplomatie de la médiation s’est progressivement enrichie d’une vision plus globale, faisant du Qatar non plus seulement un médiateur, mais un acteur géopolitique multidimensionnel. Désormais, sa politique étrangère s’étend bien au-delà du domaine diplomatique et militaire. Le sport s’est imposé comme un élément structurant de la stratégie de rayonnement du Qatar, en témoignent l’organisation des Jeux asiatiques de 2006 (et ceux de 2030) et de la Coupe du Monde 2022. L’art, les médias, la finance et l’économie sont également investis avec une vision de long terme[12]. Ainsi, le Qatar ne se contente plus d’être un facilitateur de paix : il se positionne comme un hub logistique, économique et diplomatique.
La carte du Qatar ne se joue plus seulement au Moyen-Orient : elle est désormais planétaire.
Cette hyperactivité dans presque tous les secteurs a fait du Qatar un acteur incontournable du monde arabe, dont l’influence dépasse largement les frontières régionales. Ses investissements massifs à travers le globe – en Asie, en Amérique, en Europe et en Afrique – s’inscrivent dans une stratégie de diversification économique. Le pays mise également sur l’économie verte et les nouvelles technologies pour consolider sa place dans l’ère post-pétrole[13]. La carte du Qatar ne se joue plus seulement au Moyen-Orient : elle est désormais planétaire.
Cependant, la politique qatarie ne doit pas être perçue comme une simple quête de prestige international. Comme mentionné précédemment, elle répond surtout à des impératifs essentiels pour l’émirat de se préserver de ses propres vulnérabilités. La médiation s’impose dès lors comme l’un des principaux outils pour pallier ces défis.
L’émirat devra faire preuve d’une agilité et d’une prudence constante pour préserver son influence. Son avenir diplomatique dépendra de sa capacité à s’adapter aux nouvelles dynamiques internationales
Mais Doha pourra-t-il maintenir son statut de médiateur privilégié dans un monde de plus en plus polarisé ? Face aux tensions croissantes entre grandes puissances, aux rivalités internes du Moyen-Orient et aux mutations géopolitiques, l’émirat devra faire preuve d’une agilité et d’une prudence constante pour préserver son influence. Son avenir diplomatique dépendra de sa capacité à s’adapter aux nouvelles dynamiques internationales, tout en poursuivant sa quête d’une reconnaissance qui dépasse largement son poids géographique.
CHELKHA Marwa
Assistante de recherche au CERMAM
Bibliographie
Sources scientifiques
LAZAR, Mehdi. « L’émirat “hyperactif” : une analyse de la politique d’internationalisation du Qatar ». Confluences Méditerranée, 2013/1 N° 84, 2013. p.59-76. CAIRN.INFO, https://shs.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2013-1-page-59?lang=fr&tab=texte-integral
Sources non-scientifiques
CHOUCAIR, Sana Richa. « La diplomatie du Qatar : atouts et limites. » Ici Beyrouth, 1 novembre 2024, https://icibeyrouth.com/articles/1300229/la-diplomatie-du-qatar-atouts-et-limites.
GAVIN, François. « Le Qatar dans le grand jeu africain. » Jeune Afrique, 12 août 2012, https://www.jeuneafrique.com/1368057/politique/le-qatar-dans-le-grand-jeu-africain/.
OLMO, Guillermo D. « Les États-Unis et les talibans signent un accord historique à Doha. » BBC Afrique, 19 août 2021, https://www.bbc.com/afrique/monde-58259138.
« Afghanistan : l’accord historique de Doha ouvre un nouveau chapitre à l’issue incertaine. » Le Monde, 29 Feb. 2020, https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/29/afghanistan-l-accord-historique-de-doha-ouvre-un-nouveau-chapitre-a-l-issue-incertaine_6031374_3210.html.
RISSOUL, Hamza. « Qatar, médiateur des conflits au Moyen-Orient : l’influence de Tamim Al-Thani. » Middle East Eye, 12 Mars 2021, https://www.middleeasteye.net/fr/decryptages/qatar-mediateur-conflits-moyen-orient-iran-printemps-arabe-tamim-thani.
« Un échange de prisonniers conclu entre Washington et Téhéran sous l’égide du Qatar. » France 24, 18 Sept. 2023, https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230918-un-échange-de-prisonniers-conclu-entre-washington-et-téhéran-sous-l-égide-du-qatar
[1] LAZAR, Mehdi. « L’émirat “hyperactif” : une analyse de la politique d’internationalisation du Qatar ». Confluences Méditerranée, 2013/1 N° 84, 2013. p. 60 [2] GAVIN, François. « Le Qatar dans le grand jeu africain. » Jeune Afrique, 12 août 2012 [3] RISSOUL, Hamza. « Qatar, médiateur des conflits au Moyen-Orient : l’influence de Tamim Al-Thani. », Middle East Eye, 12 mars 2021 [4] CHOUCAIR, Sana Richa. « La diplomatie du Qatar : atouts et limites », Ici Beyrouth, 1 nov. 2024 [5] Ibidem. [6] OLMO, Guillermo D. « Les États-Unis et les talibans signent un accord historique à Doha. » BBC Afrique, 19 août 2021 [7] « Un échange de prisonniers conclu entre Washington et Téhéran sous l’égide du Qatar. », France 24, 18 Sept. 2023 [8] Ibidem [9] CHOUCAIR, Sana Richa. op.cit. [10] Ibidem [11] Ibidem [12] LAZAR, Mehdi. op.cit, p. 69 [13] Ibidem, p. 70