Le Yémen : une guerre qui n’en finit pas
Six ans après le début du conflit, le Yémen semble être dans une situation inextricable, et une possible résolution du conflit n’est pas d’actualité. Pour autant, les récentes déclarations de Joe Biden pourraient changer la donne dans le conflit yéménite.
A l’origine de la guerre
A l’origine le Yémen était divisé entre le Nord et le Sud, le Nord faisant parti de l’Empire Ottoman et le Sud une colonie britannique de 1839 à 1967. Devenus indépendants, les deux pays se développent différemment. Le Nord devient une monarchie puis une république en 1962, marquant le début d‘une guerre civile jusqu’en 1970. Au sud, suite au départ des anglais en 1967, le pays devient la République populaire du Yémen du Sud, soutenu par l’Union Soviétique. Le 22 mai 1990, les deux pays s’unifient et donnent naissance au Yémen. Le président Ali Abdallah Saleh, alors président du Yémen du Nord depuis 1978, devient président du pays suite à la réunification[1]. Le président Saleh est alors soutenu par les États-Unis et l’Union Européenne, ainsi que par l’Arabie Saoudite, « obsédée par la menace terroriste »[2]. Durant son mandat, le président a en outre été confronté à différents conflits dont depuis 2004 dans la région de Saada entre l’armée yéménite et les houthis. En effet, le gouvernement les accuse de collusion avec l’Iran et de vouloir la restauration de l’imamat zaydite, qui avait régné sur une partie du Yémen durant plus de mille ans. Ceux-ci affirment lutter contre la marginalisation de leur région, mais également pour défendre leur identité religieuse spécifique, tout en critiquant l’alliance entre le gouvernement et les États-Unis[3]. Mais en février 2010, le gouvernement signe une trêve avec les houthis[4]. Celle-ci demeura cependant instable. En outre, le sud du Yémen est marqué par la montée d’un mouvement séparatiste particulièrement depuis 2007, notamment avec de nombreuses manifestations organisées par le mouvement al-hirak al-janubi[5]. Il reproche notamment au gouvernement l’accaparement des ressources pétrolières, particulièrement importantes au Sud. Enfin, le pays est marqué par des conflits récurrents entre le gouvernement yéménite et des groupes se revendiquant d’Al-Qaïda[6].
En outre, à l’aube du Printemps Arabe, le pays est frappé par trois enjeux particulièrement graves : le manque d’eau, la raréfaction des ressources pétrolières et une forte pression démographique. En effet, selon le Comité International de la Croix Rouge (CICR), le pays prélève plus d’eau que la nature peut en renouveler, d’autant que le Yémen est régulièrement sujet à la sécheresse. Ainsi, les prévisions hydrologiques montrent que la capitale Sanaa aura épuisé ses ressources en eau d’ici 2025[7]. En outre, la production de ressources pétrolières représente entre 70 et 80% des ressources gouvernementales[8], ce qui les rend très vulnérables aux fluctuations du marché, d’autant que la production yéménite est en forte baisse. Les estimations considèrent ainsi que le pays devra bientôt importer des ressources pétrolières[9].
L’avènement du Printemps arabe
Dans le cadre du Printemps Arabe débuté en Tunisie puis en Égypte, le Yémen est marqué par de fortes manifestations en janvier et février 2011, notamment à Sanaa et à Taez. Les manifestations sont rejointes par l’opposition de al-Liqa al-Mushtarak, regroupant les principaux partis d’opposition dont le Parti Socialiste Yéménite et le parti al-Islah[10]. En outre, l’arrestation de Tawakkul Karman, future prix Nobel de la paix 2011, le 23 janvier, attise la colère des manifestants. Dès le 2 février 2011, le président Saleh tente d’appeler au dialogue en annonçant qu’il ne se représentera pas aux élections de 2013, ainsi que la création d’une nouvelle constitution et le développement d’un gouvernement d’unité nationale. Mais les manifestations se poursuivent et demandent le départ du président. Le mouvement est également rejoint par les figures tribales et religieuses du pays[11]. La répression et le massacre du 18 mars 2011 et la prise de Sadaa le 22 mars par les houthistes marquent le tournant des manifestations. Touché par un éclat d’obus le 3 juin, le président Saleh part en Arabie Saoudite, puis cède le pouvoir et met en place des élections anticipées en février 2012 ; le vice-président Abdrabbo Mansour Hadi est alors élu président.
Le tournant de la coalition menée par l’Arabie Saoudite
Le conflit prend une nouvelle ampleur en 2014, lorsque les houthis entreprennent une expansion territoriale, aboutissant à la prise de la capitale Sanaa le 21 septembre 2014, menant le président Hadi à l’exil en Arabie Saoudite[12]. Le 25 mars 2015, l’Arabie Saoudite avec l’appui d’une coalition d’une dizaine de pays arabes, met en place l’opération « Tempête décisive » dans l’objectif de restaurer le pouvoir du président Hadi et lutter contre l’influence des Houthis. La coalition entreprend alors de nombreux raids aériens. Elle est suivie de l’opération « Restaurer l’espoir », visant à lutter contre les Houthis. Parallèlement, la coalition a mise en place un embargo naval et aérien, bloquant de fait l’approvisionnement en vivres, carburant et médicaments au Yémen. De plus, le gouvernement yéménite du président Hadi a accusé les Émirats Arabes Unis de soutenir les séparatistes du Sud, aboutissant à la prise d’Aden par ces derniers[13]. Malgré des moyens importants mises en œuvre, la coalition menée par l’Arabie Saoudite peine à entraver l’avancée des houthis, le pays s’enlisant alors dans les conflits.
Une situation humanitaire dramatique
Six ans après le début du conflit, le Yémen reste selon Human Rights Watch la plus grande crise humanitaire au Monde, avec près des deux tiers de la population nécessitant une aide alimentaire[14]. Le conflit a eu impact important sur les civils, qui souffrent du manque d’infrastructures essentielles dû aux destructions, ainsi que le manque de ressources de premières nécessités notamment à cause du blocus mis en place par la coalition. En outre le déplacement des populations et la prolongation du conflit a fait chuter l’économie, entrainant de nombreux yéménites dans la pauvreté. Le pays est de plus frappé par plusieurs épidémies dont le Choléra[15] et plus récemment par l’épidémie de Covid-19. Enfin, selon un rapport des Nations Unis[16], environ 112 000 personnes sont mortes des suites directes des conflits sans compter les milliers de victimes indirectes. Le rapport pointe en outre les nombreuses exactions contraires aux conventions internationales commises de part et d’autre, regroupant notamment la torture, les attaques aveugles, les entraves aux secours humanitaires, l’utilisation d’enfants… Six ans après le début du conflit, la situation semble inextricable, et l’arrêt des combats peu probable alors que les houthis tentent de prendre la ville de Marib aux loyalistes du gouvernement yéménite[17]. Cette ville est particulièrement stratégique car elle regroupe d’importantes ressources pétrolières.
L’élection de Joe biden, un tournant pour la politique américaine au Yémen ?
L’ancien président américain, Donald Trump, avait apporté un soutien important à l’Arabie Saoudite dans le cadre du conflit yéménite. En effet, il a conclu plusieurs contrats de vente d’armes au saoudiens, malgré l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi[18]. Ainsi, mardi 14 avril 2019, le président Trump a opposé son véto à une résolution du Congrès exigeant l’arrêt du soutien américain à la coalition menée par l’Arabie Saoudite au Yémen. Cette résolution fait suite au manque de réaction de l’administration Trump face à l’assassinat de Jamal Khashoggi[19]. Avant de quitter la présidence, Donald Trump avait également inscrit les houthis sur la liste noire des États-Unis. L’arrivée au pouvoir de Joe Biden pourrait cependant changer la donne. En effet, le 4 février 2021, lors de son premier grand discours de politique étrangère, le président Joe Biden a annoncé la fin du soutien américain à la coalition menée par l’Arabie Saoudite au Yémen. Cela comprend notamment l’arrêt de certaines « ventes d’armes »[20]. Il a également nommé le diplomate Tim Lenderking comme émissaire spécial pour le Yémen. Tim Lenderking était précédemment sous-secrétaire d’État adjoint aux affaires de la péninsule arabique au Bureau du Proche-Orient du département d’État des États-Unis. En outre le 5 février 2021, le président Biden a annoncé retirer les houthis de la liste des organisations terroristes, prenant ainsi le contrepied de Donald Trump. Cependant, ces décisions ne semblent pas marquer l’arrêt des relations américano-saoudiennes, car Joe Biden a promis que les États-Unis continueraient à aider l’Arabie Saoudite à « défendre sa souveraineté, son intégrité territoriale et son peuple », face à des « attaques de missiles, de drones, et d’autres menaces de la part des forces soutenues par l’Iran dans de nombreux pays »[21]. Ainsi, une résolution de la crise yéménite par l’intermédiaire des États-Unis demeure incertaine.
Dans ce contexte, les Débats du Cermam organiseront un webinaire portant sur la crise Yéménite.
Yémen : géopolitique d’un conflit dans l’oubli
Le mardi 23 mars de 12h30 à 14h.
Inscription : info@cermam.org
Participants :
Franck Mermier
Directeur du Centre français d’études yéménites (Sanaa) de 1991 à 1997, puis directeur scientifique des études contemporaines à l’Institut Français du Proche-Orient (Beyrouth) (2005-2009), il est directeur de recherche au CNRS (IRIS) et actuellement en mobilité à l’Institut français d’études anatoliennes à Istanbul.
Hélène Thiollet
Hélène Thiollet est chargée de recherche au CNRS basée au CERI Sciences Po. Ses recherches portent sur les politiques migratoires dans les pays du Sud, elle s’intéresse particulièrement au Moyen-Orient et à l’Afrique sub-saharienne. Elle enseigne les relations internationales, la politiques comparée et l’étude des migrations internationales à Sciences Po et à l’EHESS.
Hans Lammerant
Hans Lammerant est spécialiste du commerce des armes au sein de l’ONG belge Vredesactie (Action pour la Paix).
Marie de La Roche Saint-André, Assistante de recherche
[1] Bonnefoy, L. (2011). Les révolutions sont-elles exportables ? « L’effet domino » à la lumière du cas yéménite. Mouvements, 66, 110‑116. https://www.cairn.info/revue-mouvements-2011-2-page-110.htm?contenu=article (consulté le 12/03/2021).
[2] Ibid.
[3] Bonnefoy, L. Poirier, M. (2012). La structuration de la révolution yéménite. Revue française de science politique, 62, 895‑913. https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2012-5-page-895.htm (consulté le 12/03/2021).
[4] Hughes, D. (2010, 13 septembre). Les problèmes du Yémen sont ceux de la région. NATO Review. https://www.nato.int/docu/review/fr/articles/2010/09/13/les-problemes-du-yemen-sont-ceux-de-la-region/index.html (consulté le 12/03/2021).
[5] Ibid.
[6] Bonnefoy, L. (2011). Les révolutions sont-elles exportables ? « L’effet domino » à la lumière du cas yéménite. Mouvements, 66, 110‑116. https://www.cairn.info/revue-mouvements-2011-2-page-110.htm?contenu=article (consulté le 12/03/2021).
[7] Pascarelli, A. (2014, 24 mars). Yémen : assurer un approvisionnement en eau durable. CICR. https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/interview/2014/03-20-yemen-water.htm (consulté le 15/03/2021).
[8] Salisbury, P. (2011, octobre). Yemen’s Economy: Oil, Imports and Elites. Chatham House. https://www.chathamhouse.org/sites/default/files/1011pp_yemeneconomy.pdf (consulté le 16/03/2021).
[9] Koussa Dit Bacha, R. Rousselet, L. (2014, décembre). Le Yémen, quels enjeux stratégiques ? IRSEM.
[10] Bonnefoy, L. (2011). Les révolutions sont-elles exportables ? « L’effet domino » à la lumière du cas yéménite. Mouvements, 66, 110‑116. https://www.cairn.info/revue-mouvements-2011-2-page-110.htm?contenu=article (consulté le 12/03/2021).
[11] Ibid.
[12] Yémen : les Houthis résistent, un an après la prise de Sanaa. (2015, 20 septembre). Le Point. https://www.lepoint.fr/monde/yemen-les-houthis-resistent-un-an-apres-la-prise-de-sanaa-20-09-2015-1966338_24.php (consulté le 15/03/2021).
[13] Au Yémen, tensions exacerbées entre le gouvernement et les Émirats arabes unis. (2019, 31 août). France 24. https://www.france24.com/fr/20190831-yemen-pouvoir-gouvernement-emirats-arabes-unis-separatistes-jihadistes-sud-coalition (consulté le 16/03/2021).
[14] Human Rights Watch. (2021). Yemen Events of 2020. https://www.hrw.org/world-report/2021/country-chapters/yemen#
[15] Choléra au Yémen : une course contre la montre pour enrayer l’épidémie. (s. d.). Oxfam. https://www.oxfam.org/fr/cholera-au-yemen-une-course-contre-la-montre-pour-enrayer-lepidemie (consulté le 15/03/2021).
[16] HCR. (2020, septembre). Situation of human rights in Yemen, including violations and abuses since September 2014. https://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/GEE-Yemen/2020-09-09-report.pdf (consulté le 15/03/2021).
[17] Yémen : au moins 90 morts dans des combats entre rebelles et loyalistes à Marib. (2021, 6 mars). Le Point. https://www.lepoint.fr/monde/yemen-au-moins-90-morts-dans-des-combats-entre-rebelles-et-loyalistes-a-marib-06-03-2021-2416641_24.php (consulté le 15/03/2021).
[18] Trump prépare une nouvelle vente d’armes à l’Arabie saoudite, selon un sénateur. (2020, 28 mai). L’Orient-Le-Jour. https://www.lorientlejour.com/article/1219639/trump-prepare-une-nouvelle-vente-darmes-a-larabie-saoudite-selon-un-senateur.html (consulté le 15/03/2021).
[19] Mediavilla, L. (2019, 17 avril). Guerre au Yémen : Trump s’oppose frontalement au Congrès. Les Echos. https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/guerre-au-yemen-trump-soppose-frontalement-au-congres-1012116 (consutlé le 16/03/2021).
[20] Joe Biden met fin au soutien américain à l’offensive saoudienne au Yémen. (2021, 5 février). Courrier International. https://www.courrierinternational.com/article/diplomatie-joe-biden-met-fin-au-soutien-americain-loffensive-saoudienne-au-yemen (consulté le 16/03/2021).
[21] Ibid.