ANALYSE

Visite historique du Pape François en Irak

Vendredi 5 mars, le Pape François s’est rendu pour la première fois en Irak, une visite particulièrement symbolique dans un pays marqué par la guerre et l’instabilité, et l’exode massif de sa population chrétienne.

Les enjeux de la venue du pape François

Cette visite du pape est particulièrement historique, car c’est la première fois qu’un pape se rend en Irak. En effet, bien que Jean-Paul II ait voulu aller dans le pays lors du jubilé de l’an 2000, sa visite avait été annulée à cause des tensions entre l’Irak et les États-Unis[1]. Ce voyage est en outre le premier voyage du pape François depuis l’épidémie du Covid-19, le dernier datant de novembre 2019 au Japon[2].

Particulièrement risquée, cette visite est jugée « dangereuse » par son prédécesseur Benoit XVI[3]. Cependant, le pape François a particulièrement insisté pour s’y rendre malgré l’épidémie du Covid-19 et les conditions sécuritaires. En effet, ces dernières semaines l’Irak a été marqué par un double-attentat particulièrement meurtrier le 21 janvier sur un marché de Bagdad revendiqué par l’État Islamique, et par des tirs de roquettes visant des intérêts américains. Le voyage du pape avait déjà été repoussé par le mouvement de manifestations anti-gouvernementales amorcé en octobre 2019[4]. En outre, cette visite restera virtuelle pour de nombreux irakiens, car avec plus de 5 000 cas par jour, le pays a été placé sous confinement strict depuis le 4 mars[5].

Cette visite permet en outre de mettre en lumière les différentes communautés chrétiennes, lourdement impactées par l’organisation de l’État Islamique, dont un grand nombre à fui le pays. En effet, de 2014 à 2017, les chrétiens irakiens ont été chassés de leur maison notamment lors de la prise de Mossoul et Qaraqosh, trouvant refuge au sein du Kurdistan irakien ou à l’étranger. De plus, leur nombre avait déjà largement diminué suite à l’intervention américaine en Irak de 2003. Ainsi, depuis 2003 et bien qu’il soit difficile d’avoir des chiffres précis, le nombre de chrétiens présents en Irak serait passé d’environ 1,2 million à moins de 300 000[6]. Avec pour devise « vous êtes tous frères », le Pape vient prêcher la réconciliation entre les différentes composantes de la société irakienne[7]. Ces mots font échos à sa nouvelle encyclique « Fratelli Tutti » (Tous Frères). « Je viens en tant que pèlerin, un pèlerin pénitent pour implorer du Seigneur pardon et réconciliation après tant d’années de guerre et de terrorisme » affirme-t-il, et il met en avant la figure d’Abraham (dont la terre natale se trouverait en Irak) « qui réunit en une seule famille musulmans, juifs et chrétiens »[8]. Évoquant les souffrances passées, le pape a rappelé son soutien pour l’Irak : « J’ai beaucoup pensé à vous pendant ces années, à vous qui avez beaucoup souffert mais qui ne vous êtes pas laissés abattre. A vous, chrétiens, musulmans, à vous, peuples, comme les Yazidis, qui avez tant souffert »[9].

Un programme particulièrement chargé

Durant trois jours le pape a suivi un programme particulièrement chargé. A Bagdad vendredi, il a rencontré le Premier ministre Moustapha al-Khadimi et le Président Barham Saleh avant de visiter la cathédrale syriaque-catholique de Bagdad marquée en 2010 par un attentat. Samedi, le Pape François s’est rendu à Najaf pour rencontrer le grand ayatollah Ali al-Sistani avant de se rendre près d’Ur, ville berceau du prophète Abraham, afin de rencontrer des représentants de différentes confessions suivi d’une prière interreligieuse. La journée de dimanche a été marquée par la rencontre imprévue avec Massoud Barzani, président du Kurdistan irakien de 2005 à 2017. Le pape s’est par la suite rendu dans la ville de Mossoul afin de prier en hommage aux victimes de la guerre, puis à Qaraqosh, ville à majorité chrétienne de l’Irak. Avant de prier au sein de l’Église de l’Immaculé Conception, Il a déclaré devant les habitants de la ville : « Même au milieu des dévastations du terrorisme et de la guerre, nous pouvons voir, avec les yeux de la foi, le triomphe de la vie sur la mort ». Enfin, le pape a célébré dimanche après-midi une messe à Erbil dans un stade devant environ 10 000 fidèles. Avant de quitter Erbil le pape s’est en outre entretenu avec Abdullah Kuyrdi, père du petit Alan, mort échoué sur une plage turque en 2015[10].

Rencontre avec le grand Ayatollah Ali al-Sistani

La venue du Pape François dans la ville sainte de Najaf est particulièrement symbolique et s’inscrit dans sa volonté de promouvoir le dialogue interreligieux. En effet, avec environ 60% de chiites, l’Irak est avec l’Iran, l’un des pays avec la plus forte concentration de musulmans chiites. Le pape a ainsi rencontré le grand ayatollah Ali al-Sistani, la plus haute autorité chiite du pays et référence religieuse reconnue dans le monde entier. Selon plusieurs analystes, le choix de cette figure du chiisme n’est pas anodin car al-Sistani dirige une école théologique qui prône le retrait des religieux de la politique, à l’inverse de l’école iranienne de Qom[11]. Le grand ayatollah Ali al-Sistani a affirmé au pape que les chrétiens d’Irak devaient « vivre en paix et en sécurité » et bénéficier de « tous les droits constitutionnels »[12]. Cette rencontre fait écho à la réunion en 2019 entre le pape et l’imam d’Al-Azhar Ahmed al-Tayeb aux Émirats Arabes Unis, aboutissant à la signature d’un document promouvant le dialogue entre chrétiens et musulmans[13].

Une visite saluée au Liban et en Iran

La visite du Pape a particulièrement été saluée par les composantes chiites de la région. En effet, le président du parlement libanais Nabih Berry a souligné que « la visite du souverain pontife en Irak, et notamment la rencontre historique prévue avec le grand ayatollah chiite Ali Sistani, est porteuse d’un message sur l’importance de renforcer la fraternité basée sur l’amour et la tolérance »[14]. En Iran, plusieurs journaux se sont enthousiasmés de la rencontre entre les deux hommes, dont le journal gouvernemental Iran qui a titré « victoire pour le chiisme et le christianisme ». Pour le journal Kargozaran, les deux hommes sont « les porte-drapeaux de la paix mondiale »[15]. Enfin, selon le quotidien Ressalat, cette visite du pape en Irak est « une opportunité précieuse pour la paix », tout en précisant que « le pape François et de nombreux pays occidentaux sont conscients du fait que c’est grâce au sang versé par la jeunesse courageuse de la résistance et à la sagesse de l’autorité chiite irakienne qu’il est devenu possible de se rendre librement en Irak »[16]. Concluant la cérémonie religieuse au stade Franso Hariri à Erbil, le pape François a béni les fidèles en arabe : « Allah ma’akum ».

Marie de La Roche Saint-André, Assistante de recherche


[1] Rich, D. (2021, 4 mars). Pape François en Irak : une visite « cruciale » après « 30 ans de descente aux enfers ». France 24. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210304-pape-fran%C3%A7ois-en-irak-une-visite-cruciale-apr%C3%A8s-30-ans-de-descente-aux-enfers (consulté le 05/03/2021).

[2] Chambraud, C. (2021, 5 mars). Le pape François est arrivé en Irak pour une visite historique et hautement politique. Le Monde. https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/05/le-pape-francois-au-chevet-des-chretiens-d-irak_6072008_3210.html (consulté le 08/03/2021).

[3] Benoît XVI juge que le voyage du pape François en Irak est «dangereux». (2021, 1 mars). Le Temps. https://www.letemps.ch/monde/benoit-xvi-juge-voyage-pape-francois-irak-dangereux (consulté le 09/03/2021).

[4] Chambraud, C. (2021, 5 mars). Le pape François est arrivé en Irak pour une visite historique et hautement politique. Le Monde. https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/05/le-pape-francois-au-chevet-des-chretiens-d-irak_6072008_3210.html (consulté le 08/03/2021).

[5] Le pape plaide « la réconciliation » à la veille de sa visite en Irak. (2021, 5 mars). L’Orient-Le-Jour. https://www.lorientlejour.com/article/1254221/le-pape-plaide-la-reconciliation-a-la-veille-de-sa-visite-en-irak.html (consulté le 08/03/2021).

[6]   Rich, D. (2021, 4 mars). Pape François en Irak : une visite « cruciale » après « 30 ans de descente aux enfers ». France 24. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210304-pape-fran%C3%A7ois-en-irak-une-visite-cruciale-apr%C3%A8s-30-ans-de-descente-aux-enfers  (consulté le 05/03/2021).

[7] KTO. (2021, 5 mars). Rencontre du pape François avec les autorités et la société civile irakienne [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=9N6hHPWiCV0 (consulté le 08/02/2021).

[8] Le pape plaide « la réconciliation » à la veille de sa visite en Irak. (2021, 5 mars). L’Orient-Le-Jour. https://www.lorientlejour.com/article/1254221/le-pape-plaide-la-reconciliation-a-la-veille-de-sa-visite-en-irak.html  (consulté le 08/03/2021).

[9] Le pape plaide « la réconciliation » à la veille de sa visite en Irak. (2021, 5 mars). L’Orient-Le-Jour. https://www.lorientlejour.com/article/1254221/le-pape-plaide-la-reconciliation-a-la-veille-de-sa-visite-en-irak.html  (consulté le 08/03/2021).

[10] Voyage du pape en Irak : retrouvez le récit de la journée du dimanche. (2021, 7 mars). La Croix. https://www.la-croix.com/Religion/direct-pape-francois-3eme-jour-voyage-irak-bagdad-kurdistan-irakien-messe-erbil-2021-03-07-1201144209 (consulté le 09/03/2021).

[11] En Iran, la presse salue la rencontre entre le pape et Sistani. (2021, 7 mars). Le Figaro. https://www.lefigaro.fr/flash-actu/en-iran-la-presse-salue-la-rencontre-entre-le-pape-et-sistani-20210307 (consulté le 09/03/2021).

[12] L’ayatollah Sistani au pape François : les chrétiens d’Irak doivent vivre « en paix ». (2021, 6 mars). France 24. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210306-%C3%A0-najaf-le-pape-rencontre-le-grand-ayatollah-chiite-ali-sistani (consulté le 08/03/2021).

[13] Yves Bourdillon. (2021, 5 mars). Première visite d’un pape en Irak. Les Echos. https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/premiere-visite-dun-pape-en-irak-1295654 (consulté le 08/03/2021).

[14] Berry applaudit la visite du pape François en Irak, prévue à partir de vendredi. (2021, 4 mars). L’Orient-Le-Jour. https://www.lorientlejour.com/article/1254143/berry-applaudit-la-visite-du-pape-francois-en-irak-prevue-a-partir-de-vendredi.html (consulté le 05/03/2021).

[15] Voyage du pape en Irak : retrouvez le récit de la journée du dimanche. (2021, 7 mars). La Croix. https://www.la-croix.com/Religion/direct-pape-francois-3eme-jour-voyage-irak-bagdad-kurdistan-irakien-messe-erbil-2021-03-07-1201144209 (consulté le 09/03/2021).

[16] [16] En Iran, la presse salue la rencontre entre le pape et Sistani. (2021, 7 mars). Le Figaro. https://www.lefigaro.fr/flash-actu/en-iran-la-presse-salue-la-rencontre-entre-le-pape-et-sistani-20210307 (consulté le 09/03/2021).

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