Pétrole : tensions entre les Émirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite
Début juillet 2021, le prix du pétrole a connu une certaine volatilité en raison d’un désaccord entre les Émirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite au sein de l’OPEP+.
La stratégie de l’OPEP+ depuis la pandémie
La propagation de l’épidémie de Covid-19 en avril 2020 avait fait chuter la demande en pétrole et donc les prix du marché, notamment en raison d’un profond ralentissement des chaines de consommation, de transport et d’approvisionnement mondial[1]. Cependant, le marché du pétrole était déjà en berne en raison du ralentissement de l’économie mondiale[2]. Au mois de mars, la production de pétrole a entrainé des tensions entre la Russie et l’Arabie Saoudite[3]. En effet, la Russie ne voulait pas limiter sa production de pétrole. Cependant, l’Arabie Saoudite a ouvert les vannes de la production, faisant chuter le prix du pétrole afin de faire céder la Russie, avec succès[4]. Ainsi, afin de limiter la chute des prix, l’OPEP+ avait décidé dès le mois d’avril de réduire la production de 9,7 millions de barils par jour, puis de les réintroduire au fur et à mesure. Mais le regain de la pandémie en Europe et aux États-Unis a retardé l’échéance du retour à la normale de la production[5]. A partir de janvier 2021, la limitation de la production a été ramenée à 5,8 millions de barils par jour en moins, avec la mise en place des vaccins[6]. Fort de cette stratégie, le prix du pétrole avait enregistré une forte hausse atteignant les 70 dollars le baril en mars[7]. Une augmentation de la production en mai et en juin avait été prévue de 350 000 barils par jour[8].
Un désaccord en raison des quotas
Début juillet, l’OPEP a été paralysée par un désaccord entre les Émirats Arabes Unis et principalement l’Arabie Saoudite en raison des quotas de production. En effet, les Émirats Arabes Unis demandent l’augmentation de son volume de production de référence pour des raisons « d’équité »[9]. Ainsi, son volume de production de référence, datant d’octobre de 2018 et évalué à 3,17 millions de barils par jour, ne correspond plus à sa pleine capacité de production. En effet, le pays peut désormais produire plus de 3,8 millions de barils par jours[10]. Ce désaccord profond entre les deux pays a conduit à l’annulation de la réunion de l’OPEP le lundi 5 juillet[11]. Le projet de cette réunion était d’augmenter chaque mois la production de 400 000 barils par jour entre août et décembre[12], mais également de définir la date du retour à la normale de la production de pétrole prévue alors pour avril 2022[13]. De son côté, le ministre de l’énergie saoudien Abdelaziz ben Salmane a estimé que « c’est tout le groupe contre un seul pays » et a demandé « un peu de rationalité et un peu de compromis »[14]. Le désaccord s’inscrit dans un contexte où la demande mondiale reste fragile et où le retour probable des exportations iraniennes risque de changer la donne[15]. Enfin, les deux pays ont une approche différente en raison de divergences économiques. En effet, le pétrole reste la principale source de revenue de l’Arabie Saoudite qui n’a pas encore suffisamment diversifiée son économie, à contrario des Émirats Arabes Unis qui ont déjà largement investi dans la diversification[16].
Une alliance fragile ?
Malgré une unité et une convergence d’intérêts affichées depuis de nombreuses années, des divergences sont apparues ces dernières années entre l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis[17]. En effet, le conflit au Yémen a vu l’émergence de positions différentes des deux pays. Bien que l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis soient intervenus ensemble contre les houthis, ils ont soutenus deux parties différentes. En effet, l’Arabie Saoudite a soutenu le gouvernement Hadi, tandis que les Émirats Arabes Unis ont soutenu le Conseil de transition du Sud[18]. Tandis que Ryad payait le coût d’une guerre sans issue, les Émirats Arabes Unis ont su s’assurer une place stratégique sur le littoral yéménite[19]. En outre, les relations entre les deux pays semblent s’être amoindries depuis l’accession de Biden au pouvoir aux États-Unis. Ainsi, Mohammed ben Salmane et Mohammed Ben Zayed ne se sont entretenus qu’une seule fois depuis la fin de la présidence Trump[20]. De plus, les saoudiens n’ont pas suivi la normalisation des relations avec Israël mise en place par les Émirats Arabes Unis[21]. Autre point noir, la réconciliation entre le Qatar et l’Arabie Saoudite, ainsi que le rapprochement entre cette dernière et la Turquie, qui ne plait pas aux émiratis[22]. Enfin, l’Arabie Saoudite a décidé de réviser sa politique douanière de manière unilatérale afin de ne plus donner des tarifs préférentiels aux produits provenant d’Israël ou fabriqué par une entreprise israélienne[23]. Cependant, les deux pays restent unis dans leur rivalité face à l’Iran et les Frères musulmans et dans une moindre mesure dans leur méfiance face à la Turquie et le Qatar[24].
Une résolution de la crise
Après de nombreuses négociations, les pays de l’OPEP+ ont trouvé un accord, dimanche 18 juillet, notamment concernant la hausse des quotas de productions des Émirats Arabes Unis. L’accord prévoit ainsi la hausse du quota de production émirati à 3,5 millions de barils par jour en mai 2022[25]. En outre, les quotas de plusieurs pays ont été ajustés, dont l’Irak, le Koweït, l’Arabie Saoudite et la Russie. De plus, l’accord prévoit une augmentation de la production de l’OPEP de 400 000 barils par jour chaque mois à partir d’août. Enfin, il repousse la limite du plafonnement de la production d’avril 2022 à la fin de l’année 2022[26]. Le ministre de l’énergie saoudien n’a pas voulu commenter le processus de décision, notant toutefois que cela faisait partie de la « recherche d’un consensus »[27]. Enfin, le vice-premier ministre russe Alexandre Novak a affirmé que « la rencontre d’aujourd’hui confirme à nouveau note volonté d’être constructif et de trouver un consensus »[28]. Ainsi, la prochaine réunion de l’OPEP est prévue le 1er septembre.
Marie de La Roche Saint-André, Assistante de recherche
[1] Pétrole : l’Opep + s’accorde sur une nouvelle augmentation modeste de sa production. (2021, 18 juillet). Le Télégramme. https://www.letelegramme.fr/monde/petrole-l-opep-s-accorde-sur-une-nouvelle-augmentation-modeste-de-sa-production-18-07-2021-12792846.php (consulté le 19/07/2021).
[2] Seibt, S. (2020, 9 mars). Coronavirus : pourquoi l’Arabie saoudite a déclenché une nouvelle guerre des prix du pétrole. France 24. https://www.france24.com/fr/20200309-coronavirus-pourquoi-l-arabie-saoudite-a-d%C3%A9clench%C3%A9-une-nouvelle-guerre-des-prix-du-p%C3%A9trole (consulté le 19/07/2021).
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] L’Opep+ « fera le nécessaire » pour maintenir à flot le marché du pétrole. (2020, 19 octobre). L’Orient-Le-Jour. https://www.lorientlejour.com/article/1237193/lopep-fera-le-necessaire-pour-maintenir-a-flot-le-marche-du-petrole.html (consulté le 19/07/2021).
[6] Pétrole : les producteurs de l’OPEP+ prêts à ajuster leur accord. (2020, 18 novembre). L’Orient-Le-Jour. https://www.lorientlejour.com/article/1241392/petrole-les-producteurs-de-lopep-prets-a-ajuster-leur-accord.html (consulté le 19/07/2021).
[7] Kebbi, J. (2021, 16 mars). Pourquoi les cours du pétrole sont à la hausse. L’Orient-Le-Jour. https://www.lorientlejour.com/article/1255442/pourquoi-les-cours-du-petrole-sont-a-la-hausse.html (consulté le 20/07/2021).
[8] L’OPEP+ ouvre modestement les vannes à partir de mai. (2021, 2 avril). L’Orient-Le-Jour. https://www.lorientlejour.com/article/1257383/lopep-ouvre-modestement-les-vannes-a-partir-de-mai.html (consulté le 20/07/2021).
[9] Crise à l’Opep : « Ni l’Arabie saoudite ni les Émirats arabes unis n’ont intérêt à divorcer ». (2021, 7 juillet). France 24. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210707-crise-%C3%A0-l-opep-ni-l-arabie-saoudite-ni-les-%C3%A9mirats-arabes-unis-n-ont-int%C3%A9r%C3%AAt-%C3%A0-divorcer (consulté le 19/07/2021).
[10] Ibid.
[11] Une réunion de l’Opep+ annulée sur fond de tensions avec les Émirats. (2021, 5 juillet). France 24. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210705-une-r%C3%A9union-de-l-opep-annul%C3%A9e-sur-fond-de-tensions-avec-les-%C3%A9mirats (consulté le 20/07/2021).
[12] Ibid.
[13] Bezat, J-M. (2021, 6 juillet). L’absence d’accord à l’OPEP + risque d’entraîner une flambée du pétrole. Le Monde. https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/07/06/l-absence-d-accord-a-l-opep-risque-d-entrainer-une-flambee-du-petrole_6087195_3234.html (consulté le 19/07/2021).
[14] Une réunion de l’Opep+ annulée sur fond de tensions avec les Émirats. (2021, 5 juillet). France 24. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210705-une-r%C3%A9union-de-l-opep-annul%C3%A9e-sur-fond-de-tensions-avec-les-%C3%A9mirats (consulté le 20/07/2021).
[15] L’OPEP+ s’accorde sur une nouvelle augmentation modeste de sa production. (2021, 19 juillet). L’Orient-Le-Jour. https://www.lorientlejour.com/article/1268893/lopep-saccorde-sur-une-nouvelle-augmentation-modeste-de-sa-production.html (consulté le 19/07/2021).
[16] Crise à l’Opep : « Ni l’Arabie saoudite ni les Émirats arabes unis n’ont intérêt à divorcer ». (2021, 7 juillet). France 24. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210707-crise-%C3%A0-l-opep-ni-l-arabie-saoudite-ni-les-%C3%A9mirats-arabes-unis-n-ont-int%C3%A9r%C3%AAt-%C3%A0-divorcer (consulté le 19/07/2021).
[17] Le pétrole, nouveau sujet de brouille entre l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. (2021, 6 juillet). Courrier International. https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/concurrence-le-petrole-nouveau-sujet-de-brouille-entre-larabie-saoudite-et-les (consulté le 20/07/2021).
[18] Doukhi, N. (2021, 8 juillet). Pétrole : Abou Dhabi montre les muscles face à Riyad. L’Orient-Le-Jour. https://www.lorientlejour.com/article/1267755/petrole-abou-dhabi-montre-les-muscles-face-a-riyad.html (consulté le 19/07/2021).
[19] Krieg, A. (2021, 8 juillet). Arabie saoudite et Émirats arabes unis : quand les princes héritiers se brouillent. Middle East Eye. https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/arabie-saoudite-emirats-arabes-unis-mbs-mbz-rivalites-divergence-petrole-crise-golfe (consulté le 20/07/2021).
[20] Ibid.
[21] Crise à l’Opep : « Ni l’Arabie saoudite ni les Émirats arabes unis n’ont intérêt à divorcer ». (2021, 7 juillet). France 24. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210707-crise-%C3%A0-l-opep-ni-l-arabie-saoudite-ni-les-%C3%A9mirats-arabes-unis-n-ont-int%C3%A9r%C3%AAt-%C3%A0-divorcer (consulté le 19/07/2021).
[22] Doukhi, N. (2021, 8 juillet). Pétrole : Abou Dhabi montre les muscles face à Riyad. L’Orient-Le-Jour. https://www.lorientlejour.com/article/1267755/petrole-abou-dhabi-montre-les-muscles-face-a-riyad.html (consulté le 19/07/2021).
[23] Barthe, B. (2021, 13 juillet). Au Moyen-Orient, des fissures dans l’alliance entre l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Le Monde. https://www.lemonde.fr/international/article/2021/07/13/au-moyen-orient-des-fissures-dans-l-axe-saoudo-emirati_6088136_3210.html (consulté le 19/07/2021).
[24] Le pétrole, nouveau sujet de brouille entre l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. (2021, 6 juillet). Courrier International. https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/concurrence-le-petrole-nouveau-sujet-de-brouille-entre-larabie-saoudite-et-les (consulté le 20/07/2021).
[25] L’OPEP+ s’accorde sur une nouvelle augmentation modeste de sa production. (2021, 19 juillet). L’Orient-Le-Jour. https://www.lorientlejour.com/article/1268893/lopep-saccorde-sur-une-nouvelle-augmentation-modeste-de-sa-production.html (consulté le 19/07/2021).
[26] Ibid.
[27] Ibid.
[28] Ibid.