ANALYSE

Objectifs et limites de l’intervention turque en Libye

La Turquie entretient depuis toujours une relation forte avec la Libye. En effet, celle-ci est le dernier territoire perdu par le noyau de l’Empire Ottoman, à la suite de la guerre italo-libyenne en 1912. Pourtant, la relation n’a pas perdu de son importance et cela se constate avec la présence considérable de travailleurs turcs en Libye dans les années 1980.

Par la suite, la relation devient plus ambiguë. La relation commerciale entre les deux pays existe avec la présence de 25’000 travailleurs turcs en Libye et 30 milliards de dollars de commerce par année.

Cependant, divers évènements vont troubler cette relation paisible. En 1997, M. Kadhafi affirme son soutien pour la création Kurde, lorsque M. Erbakan est présent sur son territoire.

Bien qu’en 2010 Erdogan reçoit le prix Kadhafi pour la paix, les tensions s’exacerbent en 2011, à la levée des printemps arabes. Erdogan, préoccupé par le sort de ses ressortissants sur le territoire libyen, demande ouvertement le retrait de Kadhafi de la scène politique (Brulent, 2019).

Ainsi, il est pertinent de se demander quelles sont les raisons de l’intervention turque en Libye et, ce faisant, les risques auxquels elle s’expose.

Les intérêts de la Turquie d’agir en Libye s’organisent autour des deux axes: « l’encerclement et l’isolement » et le gaz et le pétrole ». Le tout sous la couverture d’un accord signé entre Ankara et Tripoli.

La Turquie réagit pour briser son isolement régional et international

Cette politique atteint cependant rapidement ses limites avec l’apparition de divers problèmes liés aux  ses puissances voisines. Ainsi, les ruptures diplomatiques avec Israël et la Syrie entraînent la Turquie dans une situation d’isolement. De plus, la Russie se revendiquant alliée de Damas, l’encerclement de la Turquie est encore plus manifeste. Enfin, le refus de M. Erdogan de reconnaître le nouveau gouvernement d’al-Sissi exacerbe l’isolement du gouvernement d’Ankara.

En effet, à partir de 2002, la Turquie est présentée comme le « modèle turc » par B. Obama notamment, qui soutient que ce pays est une preuve que l’Islam est compatible à une économie libérale. C’est ainsi que voient le jour les nouvelles prétentions de la Turquie, qui donnent naissance à une politique néo-ottomane.

C’est dans ce contexte difficile que les pays avec lesquels la Turquie s’est éloignée (Chypre, Egypte, Israël) débutent le projet d’un gazoduc exportant le pétrole des gisements de la Méditerranée en Europe.  

Dans un premier temps, Ankara ne prend pas la menace au sérieux, forte de l’idée qu’elle est un intermédiaire essentiel aux transactions régionales. Son encerclement se renforçant avec le rapprochement de la Turquie à la Russie (que les Etats-Unis observent de près), la première prend conscience de sa position de « seul contre tous ». Ainsi, elle voit en la Russie un allié puissant pour reprendre une place de choix dans la région. Son levier pour susciter un intérêt aux yeux de la Russie est de montrer sa capacité de nuisance dans le conflit syrien.

Ensuite, dans un deuxième temps, la Turquie intervient en Libye. Face à un adversaire très puissant, le gouvernement de al-Sarraj conclut un accord avec Ankara. La Turquie envoie du soutien en hommes et en contrepartie une zone de commerce exclusive est mise en place avec la Libye. Le but de la Turquie étant de procéder à des recherches de ressources dans la mer.

Ces deux enjeux d’isolement de ressources constituent les deux principaux catalyseurs de l’intervention turque en Libye. 

Ces opérations mettent la Turquie dans une position sujette à différents risques.

Le gouvernement de al-Sarraj, bien que reconnu par la communauté internationale, bénéficie tout de même de moins de soutien réel que le Maréchal Haftar. En conséquence, la Turquie s’exposerait à un risque allant à l’encontre même de ses actions, c’est-à-dire, à un isolement et une critique encore plus manifestes.

Par ailleurs, les Etats-Unis observent un positionnement ambigu. Ils semblent accorder un certain soutien au Maréchal. Washington entretient par ailleurs, de bonnes relations avec les Emirats Arabes Unis et l’Egypte. Ainsi, le soutien de la Turquie pour le gouvernement de al-Sarraj la met en porte-à-faux avec des puissances avec qui ses relations sont déjà tendues.

Ensuite, certains facteurs qui constituent un risque pour la Turquie sont ses tendances nationalistes et sa contribution à la création d’un problème par couche. Les milices participant activement au conflit, une éventualité est que, lorsqu’une solution sera apportée à la crise, les acteurs des milices mettent en œuvre tout leur possible pour saboter une possible pacification. Enfin, un risque plus général serait que la Turquie suive le chemin de l’Iran et que, « pour protéger la mère patrie, elle exporte ses problèmes ailleurs et favorise ainsi la création de nouveaux conflits et de nouvelles guerres ».

La Turquie a compris que sa première ligne de défense se situe loin de ses frontières.

Compte rendu réalisé par Mathilde Bandiera

Table-ronde du CERMAM « Libye : les dynamiques internes et les influences externes », Ozcan Yilmaz, 27 février 2020

Sources

Brulent, A. (2019, août 6). Les raisons du soutien militaire turc à la Libye. Récupéré sur Middle East Eye: https://www.middleeasteye.net/fr/decryptages/les-raisons-du-soutien-militaire-turc-la-libyeOuvrir/fermer la section Writing – Blog Template Options.

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