Lundi 22 février, l’Algérie a fêté le deuxième anniversaire du Hirak. Il n’aura fallu que quelques semaines aux manifestants qui ont spontanément commencé à envahir les rues du pays, le 22 février 2019, pour obtenir la démission du président Abdelaziz Bouteflika, alors candidat à sa propre succession. Mais depuis, ni l’élection de son successeur en décembre 2019, Abdelmadjid Tebboune, ni le référendum constitutionnel de novembre 2020, amoindri par une abstention record, n’ont été à la hauteur des aspirations du Hirak, le soulèvement pacifique qui s’est emparé du pays. Incapable de répondre aux revendications démocratiques autrement que par le musellement des journalistes et des arrestations en masse, et confronté à une grave crise économique, le pouvoir algérien est dans l’impasse. L’élan du Hirak, à lui, a été ralenti par les conséquences de la pandémie de Covid-19, mais le mouvement reste vivace. D’autres formes de protestations et de propositions s’organisent pour prendre le relais.
Deux ans après le début des manifestations, le Hirak est fortement impacté par la pandémie mondiale de covid-19, ainsi que la répression exercée par le pouvoir en place. Faute de pouvoir s’exprimer dans l’espace public, le mouvement continue malgré tout la lutte principalement sur les réseaux sociaux. Ainsi, selon Louisa D. Ait-Hamadouche, des initiatives s’organisent afin de mettre en réseau tous les acteurs de ce mouvement, comme l’initiative « Nida 22 ». Cependant, le mouvement peine à construire une alternative crédible en l’absence de représentation claire. Les manifestations sont en outre insuffisantes pour constituer un rapport de force et une alternative sachant que le Hirak n’est pas en lui-même un mouvement homogène, mais est composé de différentes opinions. Cependant, le mouvement a permis de politiser d’avantage les algériens, de relier les différentes régions entre-elles et, selon Amel Boubkeur, a changé l’idée qu’il fallait vivre en parallèle du régime. En outre, selon Louisa D. Ait-Hamadouche, le Hirak n’est pas un mouvement révolutionnaire, car sinon il y aurait eu des grèves générales et des manifestations continues, et le mouvement aurait pu basculer dans la violence. Hors les algériens ont continué à travailler tout en allant manifester. Le mouvement se place ainsi dans une démarche pacifique, avec une logique de réforme profonde du système, tout en ayant une volonté de conserver les acquis sociaux ainsi que les institutions. Ainsi, il y a une volonté de conserver par exemple les subventions sur les produits de première nécessité ainsi que la redistribution des richesses issues de la manne pétrolière. Cependant, le mouvement ne veut pas retourner dans un processus d’auto-reproduction du système politique, comme cela s’est passé dans les années 1990. Enfin, selon Amel Boubkeur, le Hirak ne fait pas non plus l’unanimité au sein de la société algérienne, certains considérants qu’il est un mouvement de déstabilisation du pays.
De son côté, le pouvoir politique est très affaibli, et il y a des dissensions au sein du pouvoir notamment entre le gouvernement et le président. Comme le rappelle Louisa D. Ait-Hamadouche, le pouvoir politique a toujours fonctionné en louant la paix sociale en redistribuant les richesses pétrolières. Cette politique de cooptation et de clientélisation permettait de créer une élite soutenant le pouvoir politique et favorisait une homogénéisation des partis politiques. Le pouvoir politique post-Hirak a essayé de « normaliser » la situation en mettant en place des élections à la fois présidentielle et législatives, ainsi qu’en révisant la constitution, mais le taux de participation extrêmement faible (moins de 40% de votants avec un taux élevé de vote blanc) montre que ces pratiques ne sont plus suffisantes. En outre, Akram Belkaid souligne que l’Algérie est en proie à de grands problèmes économiques, notamment à cause de la pandémie mondiale du Covid-19 mais également en raison de la chute du prix du baril de pétrole. De plus, l’Algérie est limitée dans sa capacité d’exportation, car les deux grands gisements algériens ont été surexploités. Enfin, le pays vit au-dessus de ses moyens, l’obligeant ainsi de puiser dans ses réserves, qui sont aujourd’hui sérieusement amoindries. Ainsi, le pouvoir politique n’a plus les moyens d’assurer sa politique de redistribution des richesses.
Selon Amel Boubkeur, l’armée a souvent été un acteur majeur de la politique algérienne, comme en 1988 et lors du processus électoral de 1992. L’État algérien, ainsi « privatisé » par l’armée a bloqué l’intérêt politique des algériens. Cependant, ce modèle semi-militariste a longtemps été vu comme un modèle de stabilité. Mais ce modèle porte en lui-même les germes de sa propre destruction. Les outils de redistribution ont détruit le modèle de l’armée, car ils concernaient un nombre trop important de personne que l’armée ne pouvait contrôler. De plus, l’armée algérienne est dans une position difficile car elle est trop exposée et ne bénéficie plus de la couverture politique qu’elle avait auparavant.
Selon Isabelle Werenfels, le Hirak a connu peu de soutien international et particulièrement européen. En effet, les européens ont été assez perplexes voire méfiants à l’égard du mouvement.. Si les causes sont diverses, les européens semblent inquiets face à un mouvement qu’ils ne peuvent décrypter facilement et qui ne se tient pas au processus électoral qui leur est cher. De plus, ils n’ont pas senti qu’une certaine solidarité internationale était souhaitée. En effet, la construction politique des algériens est fondée sur une vision négative des interventions extérieures, bien qu’elles aient été plutôt souhaitées durant la guerre d’indépendance par le FLN. Enfin, la France, particulièrement proche des affaires algériennes semble, selon Kader Abderahim, favorable au statut quo.
Ainsi, selon Louisa D. Ait-Hamadouche, on assiste à deux tendances contradictoires. Une tendance du pouvoir politique à vouloir « normaliser » la situation en mettant en place des processus électoraux et en révisant la constitution. Et une tendance au sein du Hirak de défiance face au pouvoir avec un taux de participation aux élections très faible et en limitant les visites de terrain pour le personnel politique. Ces deux tendances sont aujourd’hui à un carrefour, car l’autorité politique ne parvient pas à mettre en œuvre les réformes qu’elle souhaite et manque de légitimité alors que le mouvement du Hirak peine lui à construire une alternative politique crédible. En outre, l’émergence de leaders au sein du Hirak est freinée par la répression des autorités politiques. Ainsi, il est difficile d’établir si la transition sera effectuée vers le bas, c’est-à-dire par le Hirak ou vers le haut et donc mise en place par le pouvoir politique.
Intervenants :
– Louisa Dris Aït-Hamadouche
Hirak algérien : entre crise politique et crises des acteurs politiques
Politologue. Professeure à l’Université d’Alger, Louisa Dris-Aït Hamadouche est également membre du comité de rédaction de L’année du Maghreb et responsable de la section Algérie.
– Nasser Djabi – Absent
Sociologie du Hirak et perspectives d’avenir
Sociologue et ancien professeur à l’université d’Alger. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages comme Kaidi Lakhdar : une histoire du syndicalisme algérien et Les mouvements amazighs en Afrique du Nord.
– Amel Boubkeur
Quelles solutions politiques après le Hirak
Amel Boubekeur est une chercheuse franco-algérienne, spécialisée sur les politiques au Maghreb et l’Islam en Europe. Elle est chercheuse invitée au sein du European Council on Foreign Relations. Enfin, elle a également été chercheuse associée notamment avec le Centre Jacques Berge.
– El Kadi Ihsen – Absent
Capitalisme algérien. Récit d’un suicide
Editeur indépendant et journaliste. Il a fondé Maghreb Émergent, premier site économique au Maghreb ainsi que Radio M. Il a également assuré la direction de plusieurs sites d’informations
– Hacene Ouali – Absent
Journaliste politique algérien directeur de rédaction du journal Liberté. Il a également travaillé au sein du quotidien El Watan. Il est lauréat en 2014 du prix Ali Bey Boudoukha pour le journalisme d’investigation.
– Akram Belkaid
Une contrainte économique croissante
Journaliste et essayiste algérien. Journaliste au sein du Monde diplomatique, il travaille également avec l’Orient XXI et Afrique magazine. Dernier ouvrage, Algérie en 100 questions : un pays empêché. Tallandrier 2019.
– Isabelle Werenfels :
L’Europe face au Hirak : perceptions et hésitations
Spécialisée sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Isabelle Werenfels est une chercheuse au Stiffung Wissenschaft und Politik. Elle est également présidente du Conseil Consultatif International au sein du Centre for Advanced Studies in the Maghreb (MECAM).
– Kader Abderrahim :
Kader A. Abderrahim est chercheur à l’IRIS, spécialiste du Maghreb et de l’islamisme, et maître de conférences à SciencesPo (Paris), directeur de recherche à l’IPSE et Senior Advisor au Brussels International Center (BIC). Il est également membre du Global Finder Expert des Nations Unies qui vise à faire des recommandations au Secrétaire Général de l’ONU sur le dialogue des civilisations et le rapprochement entre le Sud et le Nord.
Compte-rendu du webinaire Algérie, Hirak l’an III, Vulnérabilités et opportunités de changement.
Marie de La Roche Saint-André, Assistante de recherche