ANALYSE

Israël face à la CPI

Après cinq ans d’enquête, la Cour Pénale Internationale s’est déclarée le vendredi 5 février, compétente pour enquêter sur des possibles crimes de guerre commis dans la bande de Gaza durant l’été 2014. Cette déclaration fait suite à la demande de la procureure générale de la CPI Fatou Bensouda, de statuer si la CPI était compétente au sein des territoires palestiniens, à savoir Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem Est.

5 ans d’enquête suite à l’opération « bordure protectrice »

La procureure générale de la CPI Fatou Bensouda avait ouvert dès 2015 une enquête préliminaire concernant des allégations de crimes de guerre et crimes contre l’humanité dans les territoires palestiniens durant la guerre de Gaza de l’été 2014. En effet, durant l’été 2014, en réponse à des tirs de roquettes du Hamas, Israël lance l’opération « bordure protectrice ». Cette guerre fera près de 2 200 morts palestiniens (majoritairement des civils) et 70 morts israéliens (quasiment tous des militaires)[1]. Selon un rapport publié le 22 juin 2015 par l’ONU[2], l’armée israélienne et des groupes palestiniens ont commis des crimes de guerre lors de la guerre de Gaza. En cause notamment « l’usage extensif par Israël d’armes létales sur un important rayon », et les tirs « indiscriminés » de roquettes par les groupes palestiniens[3]. Suite à l’enquête préliminaire, la procureure de la CPI Fatou Besouda a déclaré le vendredi 18 décembre 2020 vouloir enquêter sur de possibles crimes de guerre commis dans les territoires palestiniens. Cette annonce avait été mal reçue par Israël, le Premier ministre estimant que cette décision « a transformé la CPI en outil politique pour délégitimer Israël ». Il a été soutenu par Mike Pompeo, secrétaire d’État américain, se disant opposé « à toute autre action qui vise Israël de façon injuste »[4].

Les raisons et conséquences de l’enquête de la CPI

La Cour Pénale Internationale s’est déclarée le vendredi 5 février compétente afin d’enquêter sur des possibles crimes de guerre commis durant la guerre de Gaza de l’été 2014. Cette déclaration fait suite à 5 ans d’enquête de la CPI. Bien qu’Israël ne soit pas membre de la Cour Pénale Internationale, l’enquête a été possible suite à l’adhésion de l’Autorité Palestinienne à la CPI en 2015, lui permettant ainsi de saisir la Cour. En outre, l’Autorité Palestinienne a pu adhérer à la CPI suite à la reconnaissance de la Palestine comme État-Observateur non-membre à l’ONU en 2012. Ainsi, bien qu’Israël ne soit pas membre de la CPI, la procureure générale Fatou Bensouda peut néanmoins continuer son enquête. En effet, l’enquête porte sur les possibles crimes commis dans les territoires palestiniens qui sont eux membre de la CPI. De plus, la Cour Pénale Internationale ne juge pas les États mais les personnes. Ainsi, si par exemple la cour poursuivait des dirigeants israéliens, ils feraient alors l’objet d’un mandat international. C’est-à-dire que les 123 pays membres de la CPI seraient alors obligés d’arrêter les personnes présentes sur leurs territoires, rendant ainsi difficile toute circulation des personnes poursuivies.

Des réactions contrastées

Bien que la CPI a précisé qu’elle « ne statuait pas sur un différend frontalier en droit international ni ne préjugeait de la question de quelconques futures frontières »[5], cette décision a été accueillie comme une reconnaissance de l’État palestinien par l’Autorité palestinienne, qui espère qu’elle permettra de mettre en lumière les « crimes » commis par Israël en Palestine. En effet, la CPI a précisé que sa juridiction territoriale s’étendait « aux territoires occupés par Israël depuis 1967, à savoir Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est »[6]. Ainsi, le Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh a confié laisser à la Cour « le soin de désigner les responsables des crimes commis contre le peuple palestinien, et je suis certain qu’un certain nombre de personnes vont subir les conséquences de cette décision ». De plus, Riyad al-Maliki, ministre des affaires étrangères palestinien, espère lui que « que la Cour mettra fin à l’impunité, non seulement en compliquant les déplacements des responsables israéliens, mais surtout qu’elle puisse juger et emprisonner ceux qui doivent l’être »[7].

Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu affirme que « quand la CPI enquête sur Israël pour de faux crimes de guerre, c’est purement et simplement de l’antisémitisme » et que « La Cour, créée pour empêcher des atrocités comme l’Holocauste, cible désormais le seul État du peuple juif ». Très remonté contre la CPI, il affirme de plus : « en tant que Premier ministre d’Israël, je vous l’assure : Nous allons combattre cette justice pervertie de toutes nos forces »[8]. Le gouvernement israélien estime en outre que la CPI n’est pas compétente car la Palestine n’est selon eux pas un État et que donc les territoires palestiniens ne peuvent relever de la juridiction de la Cour.

De plus, les États-Unis ont déclarés être « sérieusement préoccupés par les tentatives de la CPI d’exercer une juridiction sur les militaires israéliens ». Ainsi, selon Ned Price, porte-parole du département d’Etat américain : «Nous avons toujours adopté la position selon laquelle la juridiction de la cour devrait être réservée aux pays qui l’acceptent ou qui y sont renvoyés par le Conseil de sécurité de l’ONU»[9]. Enfin, en septembre 2020, l’administration Trump avait pris des sanctions à l’encontre de la procureure Fatou Bensouda notamment en raison de son enquête sur des possibles crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en Afghanistan depuis 2003[10]. Fatou Bensouda a depuis demandé à l’administration Biden de lever les sanctions.

Selon un article du journal israélien Haaretz publié le 16 juillet 2020, une liste secrète serait en train d’être réalisée par Israël afin de déterminer les personnes possiblement incriminées par la CPI. Cette liste comprendrait entre 200 et 300 personnes, avec notamment des dirigeants israéliens dont Benjamin Netanyahu, Benny Gantz et des anciens ministres comme Moshe Yaalon, Avigdor Lieberman et Naftali Bennett[11].

Ainsi, l’enquête de la procureure de la CPI Fatou Bensouda semble inquiéter particulièrement les israéliens, alors que les dirigeants palestiniens ont tous salué cette annonce. Enfin, la procureure a également affirmée qu’elle pourra enquêter sur l’utilisation d’armes létales ou non contre les « marches du retour » de 2018 à Gaza, mais également sur la politique de colonisation israélienne car « des membres des autorités israéliennes ont commis des crimes de guerre »[12].

Marie de La Roche Saint-André, Assistante de recherche


[1] Israël s’indigne de l’ouverture à la CPI d’une procédure préliminaire. (2015, 16 janvier). Le Point. https://www.lepoint.fr/monde/israel-s-indigne-de-l-ouverture-a-la-cpi-d-une-procedure-preliminaire-16-01-2015-1897243_24.php# (consulté le 17/02/2021).

[2] ONU. (2015, juin). Report of the Independent Commission of Inquiry on the 2014 Gaza Conflict -­ A/HRC/29/52https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/CoIGazaConflict/Pages/ReportCoIGaza.aspx#report (consulté le 18/02/2021).

[3] L’ONU dénonce des exactions à Gaza, d’Israël et des Palestiniens. (2015, 22 juin). France 24. https://www.france24.com/fr/20150622-onu-denonce-exactions-gaza-israel-palestiniens-palestine-juillet-aout-2014 (consulté le 17/02/2021).

[4] La CPI veut enquêter sur des « crimes de guerre » dans les Territoires palestiniens. (2019, 20 décembre). France 24. https://www.france24.com/fr/20191220-la-cpi-veut-enqu%C3%AAter-sur-des-crimes-de-guerre-dans-les-territoires-palestiniens (consulté le 18/02/2021).

[5] OLJ. (2021, 8 février). Les Palestiniens saluent la décision de la CPI, Israël furieux. L’Orient-Le-Jour. https://www.lorientlejour.com/article/1251183/les-palestiniens-saluent-la-decision-de-la-cpi-israel-furieux.html (consulté le 17/02/2021).

[6] Daou, M. (2021, 8 février). Des responsables israéliens bientôt devant la CPI, une décision pas que « symbolique ». France 24. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210208-des-responsables-isra%C3%A9liens-bient%C3%B4t-devant-la-cpi-une-d%C3%A9cision-pas-que-symbolique (consulté le 17/02/2021).

[7]  Ibid.

[8] Ibid.

[9] La CPI juge que sa « juridiction territoriale » s’étend aux territoires palestiniens et déclenche la polémique. (2021, 5 février). Libération. https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/la-cpi-juge-que-sa-juridiction-territoriale-setend-aux-territoires-palestiniens-et-declenche-la-polemique-20210205_36SVZFKCZRFXXGWYAXT5S4IKAQ/ (consulté le 18/02/2021).

[10] Alioune Diop. (2020, 3 septembre). CPI : lourdes sanctions de Trump contre Fatou Bensouda. Afrik.com. https://www.afrik.com/cpi-lourdes-sanctions-de-trump-contre-fatou-bensouda (consulté le 19/02/2021).

[11] Noa Landau. (2020, 16 juillet). Israel Drafts Secret List of Hundreds of Officials Who May Stand Trial at International Court. Haaretz. https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-israel-forms-secret-list-of-hundreds-of-officials-who-may-stand-trial-at-icc-1.8997620 (consulté le 19/02/2021).

[12] Daou, M. (2021, 8 février). Des responsables israéliens bientôt devant la CPI, une décision pas que « symbolique ». France 24. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210208-des-responsables-isra%C3%A9liens-bient%C3%B4t-devant-la-cpi-une-d%C3%A9cision-pas-que-symbolique (consulté le 17/02/2021).

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