ANALYSE

Le Monde Arabe face à l’épidémie du Covid-19

Débutée le 16 novembre 2019 à Wuhan en Chine, l’épidémie du Covid 19 a depuis contaminé la planète entière. Cependant, le Monde Arabe a été dans un premier temps plutôt épargné par l’épidémie, grâce notamment à une population jeune et des mesures sanitaires rapidement mises en place. Dans un monde mondialisé comme le nôtre, l’épidémie du Covid 19 est rapidement passée d’une affaire locale à un problème mondial. Dès le 30 janvier, l’OMS la déclare urgence de santé publique de portée internationale (USPPI), avant de la requalifier en pandémie le 11 mars 2020.

Conséquences de l’épidémie du Covid-19

Les conséquences de l’épidémie sont nombreuses. Sur le plan sanitaire au-delà de la surmortalité, le Covid-19 a montré la dépendance de nombreux États aux productions de matériaux médicaux comme les masques venant d’Asie, et plus particulièrement de la Chine. L’augmentation exponentielle de la demande mondiale, ainsi que les achats excessifs dû à la panique ont aboutis à de nombreuses pénuries à la fois de produits sanitaires, mais également de produits de premières nécessitées. Par ailleurs, la demande croissante et urgente en équipements médicaux a conduit à la multiplication de vols et de fraudes, provoquant notamment une hausse exponentielle des prix. Sur le plan économique, les nombreuses mesures de confinements et le ralentissement voire l’arrêt du trafic mondial ont eu pour conséquences la fermeture des commerces dits « non-essentiel » et de nombreux retards de production, endettant ainsi un grand nombre d’entreprises. Cela a entrainé des licenciements massifs. En outre, selon une étude conjointe de l’UNICEF et de L’Organisation Internationale du Travail (OIT), La pandémie va inévitablement accentuer la pauvreté, et risque d’augmenter de 40 à 60 millions le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté[1].

L’épidémie dans le Monde Arabe

Dans le Monde Arabe, les pays ont réagi rapidement en prenant des mesures strictes limitant dans un premier temps la propagation du virus. Cependant, ces mesures rigoureuses comme par exemple la mise en place de mesures de confinements, ont eu pour conséquence l’augmentation des problèmes socio-économiques, parfois déjà important dans les pays fragiles et en situation de conflit. Précisons en outre, que selon la banque mondiale, les États arabes comportaient en 2019 entre 9 et 26% de chômage (hors pays du Golfe). De plus, l’économie informelle concerne 40% de la population active, qui a fortement été impactée par les mesures de confinements[2]. Dans les pays les plus faibles comme le Yémen ou la Syrie, ainsi que le Soudan et le Liban, la situation sanitaire a aggravé la montée des prix et la dépréciation de la monnaie locale, entrainant ainsi une baisse particulièrement importante du pouvoir d’achat. La situation économique est également difficile pour les pays producteurs de pétrole, particulièrement pour l’Algérie, la Libye et l’Irak, car la crise sanitaire a entrainé une baisse de la demande mondiale du pétrole, et donc une baisse des prix, pour des pays majoritairement dépendants de cette ressource. Ainsi, de manière générale la baisse des revenus et de l’épargne ainsi que le manque de capacité des gouvernements pour répondre à la persistance de l’épidémie, risque d’impacter sur le long terme les conditions de vie de la population au sein du Monde Arabe. Enfin, la situation, est encore plus difficile pour les personnes vivant dans les camps de réfugiés notamment au Liban mais également pour les travailleurs migrants notamment d’Afrique subsaharienne qui sont le plus souvent dans l’incapacité de financer une dépense journalière de produits sanitaires (masques et gel hydroalcoolique) et qui vivent généralement dans des zones surpeuplées, favorisant ainsi la propagation du virus.

Au 1er février 2021, le pays le plus touché au sein du Monde Arabe est de loin l’Irak avec 619 636 personnes infectées recensées[3]. Le Maroc et l’Arabie Saoudite, respectivement deuxième et troisième du classement semblent largement moins impactés avec 471 157 cas pour le Maroc et 368 074 cas pour l’Arabie Saoudite. Cependant ce classement doit être pris avec précaution car il dépend notamment de la capacité de dépistage des pays. Ainsi, des pays en situation de conflits comme la Syrie et le Yémen ne recensent que 14 048 cas pour le premier et 2 121 pour le deuxième.

La déficience des infrastructures sanitaires

Cette épidémie a en outre mis en évidence le manque d’infrastructures sanitaires dans un certain nombre de pays du Monde Arabe. En effet, le secteur de la santé publique a longtemps été délaissé par de nombreux pays, laissant de nombreux hôpitaux publics sous équipés et en manque de personnel. On dénote notamment, un manque de lits de soins intensifs ainsi que de respirateurs artificiels. Cette situation s’explique notamment par l’absence d’une politique de santé publique, ainsi que le développement de centres de santé privés au détriment du secteur public, mais également par des politiques d’ajustements structurels demandés par le FMI, et l’expatriation massive des médecins arabes. En effet, la plupart des pays arabes ne possèdent que quelques centaines de lits de soins intensifs[4]. De plus, au Liban, Maroc et Tunisie, le nombre de lits de soins intensifs dans le secteur privé est égal ou supérieur à celui du secteur public[5].

A cet égard, le cas de l’Égypte est intéressant. En effet, d’après le bulletin de santé publié en 2019 par l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques, le nombre d’hôpitaux publics a diminué de 17,6%, passant de 1167 lits à 691 entre 2005 et 2019, alors que au sein des hôpitaux privés le nombre est passé de 652 lits à 1157, durant le même intervalle, soit une hausse de 77,4%[6]. De plus, l’Égypte souffre d’une pénurie de médecin, dû principalement à l’expatriation. En effet, environ 62% des médecins Égyptiens travaillent à l’étranger ou ont obtenu un congé du gouvernement[7].

La lutte contre le virus, un prétexte pour accroitre le contrôle sur la population ?

            Les récentes contestations dans le Monde Arabe, notamment au Liban, en Irak et en Algérie, interrompues pour la plupart par l’épidémie du coronavirus, ont fait émerger au sein de la société civile des doutes quant aux réelles intentions des gouvernements. Ainsi, une étude de Manal Nahhas au sein de l’organisation Arab Reporters for Investigative Journalism (ARIJ) met en avant les stratégies des gouvernements arabes pour accentuer le contrôle sur leur population, sous couvert de la lutte contre l’épidémie. L’étude montre ainsi, l’utilisation accrue de drones afin de contrôler le respect des mesures de confinement et de couvre-feu. Les drones sont également employés afin de contrôler la température des individus et la pulvérisation de matériaux stériles, notamment au Maroc, et dans les pays du Golfe. En Jordanie, selon la direction jordanienne de la sécurité publique, les drones sont utilisés afin de « capturer tous ceux qui violent la quarantaine et les transférer au parquet pour prendre des mesures légales et saisir les véhicules utilisés »[8]. Au Soudan, les drones ont été modifiés afin d’être utilisés dans les services de surveillance, en utilisant notamment la reconnaissance vocale et l’évaluation de la température. En outre, des applications mobiles ont également été développées dans les pays arabes afin de lutter contre le Covid-19. Selon Amnesty International, les applications « BeAware Bahrain » au Bahreïn et « Shlonik » au Koweït sont les « outils de surveillance de masse les plus inquiétants » parmi les applications étudiées par l’organisation[9]. En effet, elles envoient fréquemment les coordonnées GPS des utilisateurs à un serveur central, d’autant que ceux-ci doivent renseigner leur numéro d’identification national afin de s’enregistrer sur l’application. Enfin, certains pays arabes comme les Émirats Arabes Unis, le Koweit, Oman, la Jordanie et Bahreïn ont mis en place des bracelets électroniques afin de vérifier que les personnes contaminées restent bien à domicile.

Ainsi, en cas de persistance de l’épidémie du Covid-19, le Monde Arabe risque d’être durablement impacté par une crise à la fois économique et sociale.

Marie de La Roche Saint-André, Assistante de recherche


[1] UNICEF & Organisation Internationale du Travail (OIT). (2020). COVID-19 and child labour: A time of crisis, a time to act. https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—ed_norm/—ipec/documents/publication/wcms_747421.pdf

[2] Rami Abdelmoula, M. (2021, 3 juin). Le monde arabe au temps du corona. Orient XXI. https://orientxxi.info/magazine/le-monde-arabe-au-temps-du-corona,3900 (consulté le 05/02/2021).

[3] Statista. (2021, 1 février). Nombre d’infections dues au coronavirus par pays du monde 1er février 2021. https://fr.statista.com/statistiques/1091585/morts-infections-coronavirus-monde/ (consulté le 04/02/2021).

[4] Rami Abdelmoula, M. (2021, 3 juin). Le monde arabe au temps du corona. Orient XXI. https://orientxxi.info/magazine/le-monde-arabe-au-temps-du-corona,3900 (consulté le 05/02/2021).

[5] Ibid.

[6] Hammed, M. (2020, 7 novembre). No Hospitals for the Poor: How 20,000 Beds Disappeared from Egyptian hospitals. Arij | أريج. https://arij.net/investigations/corona-host-Egypt-en/ (consulté le 03/02/2021).

[7] Ibid.

[8] Nahhas, M. (2020, 5 octobre). COVID-19 Facilitates Oppression in the Arab World. Arij | أريج. https://arij.net/investigations/corona-Arab-world-en/ (consulté le 04/02/2021).

[9] AmnestyFrance. (2020, 25 juin). Covid-19 : Top 3 des applications de traçage les plus intrusives. https://www.amnesty.fr/actualites/covid-19-top-3-des-applications-de-tracage-les-plus-intrusives (consulté le 05/02/2020).

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