ANALYSE

Tentative de « coup d’État » en Jordanie ?

Samedi 3 avril 2021, en Jordanie, une quinzaine de personnes proches du pouvoir ont été arrêtées et le prince Hamza Ben Hussein a annoncé être assigné à résidence[1]. Peu de temps après cette annonce, la rumeur d’un coup d’État contre le roi de Jordanie se répandait dans les journaux du monde entier.

Le prince Hamza au cœur de la crise

Le jour même, le major général Yousef Huneiti, président des chefs d’état-major jordaniens, a démenti les rumeurs selon lesquelles le prince Hamza avait été arrêté, tout en précisant que le prince avait été invité à « cesser toutes les activités ou tous les mouvements exploités pour cibler la sécurité et la stabilité de la Jordanie »[2]. Il a en outre déclaré qu’une quinzaine de personnes dont Sharif Hassan Ben Zeid, représentant spécial auprès de l’Arabie Saoudite et l’ancien ministre et conseiller du roi Bassem Awadallah avaient été arrêtés dans le cadre de cette enquête tout en soulignant que « personne n’est au-dessus des lois et que la stabilité et la sécurité de la Jordanie passent avant tout »[3]. Le lendemain, le ministre des Affaires Étrangères Ayman Safadi a précisé que la surveillance des services de sécurité a permis de révéler des « interventions et contacts avec des parties étrangères visant à déstabiliser la sécurité de la Jordanie »[4]. Il a également affirmé que le prince Hamza, Sharif Hassan Ben Zeid, Bassem Awadallah et une quinzaine de personnes étaient associés dans une tentative « coordonnée » de déstabilisation de l’État[5].

Un différend familial

Le prince Hamza a démenti toute implication dans un complot dans une vidéo envoyée à la BBC. Il accuse en outre, les autorités jordaniennes de « corruption » et « d’incompétence »[6]. De plus, il a dénoncé l’augmentation de la répression politique en Jordanie et a affirmé que « on est arrivé au point que plus personne n’est autorisé à parler ou exprimer une opinion sur quelque sujet que ce soit, sans être intimidé, arrêté, harcelé ou menacé »[7]. Il a pu compter sur le soutien de sa mère la reine Noor qui a déclaré dans un tweet « prier pour que la vérité et la justice l’emportent pour toutes les victimes innocentes de cette calomnie malfaisante »[8]. Selon le ministre des Affaires Étrangères jordanien, le chef d’État-major avait dans un premier temps rencontré le prince Hamza pour lui demander de cesser ses activités, « mais Hamza a traité cette demande d’une manière négative sans prendre en considération les intérêts du pays »[9]. Pour autant, quelques jours plus tard, à la suite d’une réunion familiale le prince Hamza a réaffirmé son allégeance au Roi dans une lettre rendue publique[10]. Le 7 avril, le roi de Jordanie a assuré que la crise était terminée en soulignant que « le défi de ces derniers jours n’a pas été le plus dangereux pour la stabilité du pays, mais il a été le plus douloureux pour moi car les parties impliquées dans cette sédition étaient de notre maison et de l’extérieur »[11][12].

Dernier fils du roi Hussein, le prince Hamza est le demi-frère de l’actuel roi de Jordanie. Lors du décès de son père en 1999, il est jugé trop jeune pour accéder au trône. En effet, son père souhaitait le nommer comme héritier, mais il aurait dû modifier la constitution jordanienne qui ne permet de choisir qu’entre le fils ainé et les frères du souverain[13]. Le prince Hamza est alors nommé prince héritier par le successeur du roi Hussein. Cependant, le roi de Jordanie Abdallah II décida en 2004 de nommer son propre fils ainé comme prince héritier, écartant de ce fait son demi-frère du trône[14].

Une implication étrangère en question

Des questions se posent quant à l’identité « des parties étrangères » ayant été en contact avec le prince Hamza. Cependant, en raison de l’histoire de la Jordanie et de la relation privilégiée entre certains pays et les accusés, deux pays ont été principalement évoqués : l’Arabie Saoudite et Israël. En effet, la Jordanie, déjà impactée par la déstabilisation de ses voisins (Syrie et Irak) se trouve au croisement entre Israël et l’Arabie Saoudite. Certains analystes considèrent ainsi que ces deux pays pourraient potentiellement vouloir se débarrasser du roi Abdallah II, soutien de la cause palestinienne et opposé aux accords d’Abraham[15]. Dans le cas de l’Arabie Saoudite, la présence de Sharif Hassan Ben Zeid et de Bassem Awadallah (qui fut également conseiller de MBS) dans les accusés, tous deux proches de l’Arabie Saoudite, a aiguisé les soupçons. D’autant que l’Arabie Saoudite aurait fait pression pour libérer Bassem Awadallah, en raison de sa trop grande connaissance des secrets saoudiens[16]. Des contacts entre le prince Hamza et Israël ont également été rapportés, bien qu’il soit difficile d’en attester la véracité. Les relations jordano-israéliennes sont depuis longtemps difficiles, renforcées début avril par le refus du premier Ministre Benjamin Netanyahu d’approvisionner la Jordanie en eau, et par le refus de la Jordanie de donner l’accès à son espace aérien au premier Ministre israélien, qui devait se rendre aux Émirats Arabes Unis[17]. La Jordanie avait également demandé à Israël de mettre fin aux incursions israéliennes dans le complexe d’al-Aqsa, qui se trouve sous la protection de la Jordanie, selon un accord israélo-jordanien. Enfin, la question palestinienne reste un point de tension entre les deux pays, d’autant qu’une partie des israéliens considèrent la Jordanie comme la « patrie alternative » des palestiniens[18].

Pour autant, de nombreux pays ont affirmé leur soutien au roi Abdallah II dont l’Arabie Saoudite et la plupart des pays arabes, ainsi que les États-Unis. L’Arabie Saoudite a ainsi affirmé sur Twitter « son appui total » à la Jordanie « et aux décisions et mesures prises par le roi Abdallah II et le prince héritier Hussein pour sauvegarder la sécurité et la stabilité »[19]. Enfin, le département d’État américain a assuré que le roi de Jordanie était un « partenaire clé » des États-Unis et qu’il « bénéficiait de soutien total »[20].

 Des conclusions incertaines

Ainsi, malgré l’apparente résolution de la crise, des zones d’ombres persistent, notamment au sujet de l’implication du Prince Hamza et des autres personnes accusées au sein du « complot » ainsi que l’implication ou non de « forces étrangères ». D’autant que la Jordanie communique peu à ce sujet. Certains observateurs semblent davantage peser pour un différend familial que pour un coup d’État en raison du contrôle du roi Abdallah II sur les appareils sécuritaires et militaires[21]. Ainsi bien que l’hypothèse d’un coup d’État semble écartée, des questions demeurent quant à la proportion prise par cette affaire menant les hauts dirigeants jordaniens à évoquer une attaque à l’encontre de la stabilité et de la sécurité de la Jordanie.

Marie de La Roche Saint-André, Assistante de recherche


[1] Jordanie : vague d’arrestations sur fond de lutte de pouvoir au sein de la famille royale. (2021, 4 avril). Les Echos. https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/vague-darrestations-en-jordanie-sur-fond-de-lutte-de-pouvoir-au-sein-de-la-famille-royale-1304181  (consulté le 03/05/2021).

[2] Prince Hamzeh asked to ‘cease activities exploited to target Jordan’s security’ — army. (2021, 3 avril). The Jordan Times. https://www.jordantimes.com/news/local/prince-hamzeh-asked-%E2%80%98cease-activities-exploited-target-jordans-security%E2%80%99-%E2%80%94-army (consulté le 04/05/2021).

[3] Ibid.

[4] Sallon, H. Barthe, B. (2021, 5 avril). En Jordanie, l’affaire du prince Hamza divise le royaume. Le Monde. https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/05/en-jordanie-l-affaire-du-prince-hamza-divise-le-royaume_6075573_3210.html (consulté le 05/05/2021).

[5] Ibid.

[6] Jordanie : vague d’arrestations sur fond de lutte de pouvoir au sein de la famille royale. (2021, 4 avril). Les Echos. https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/vague-darrestations-en-jordanie-sur-fond-de-lutte-de-pouvoir-au-sein-de-la-famille-royale-1304181 (consulté le 03/05/2021).

[7] Daou, M. (2021, 7 avril). Accusations de complot en Jordanie : le populaire prince Hamza au cœur d’une affaire trouble. France 24. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210407-accusations-de-complot-en-jordanie-le-populaire-prince-hamza-au-c%C5%93ur-d-une-affaire-trouble (consulté le 03/05/2021).

[8] Jordanie : le prince Hamza, demi-frère du roi Abdallah II, accusé de préparer un complot. (2021, 4 avril). France 24. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210404-jordanie-le-prince-hamza-demi-fr%C3%A8re-du-roi-abdallah-ii-accus%C3%A9-de-pr%C3%A9parer-un-complot-contre-le-royaume (consulté le 04/05/2021).

[9] Ibid.

[10] Prince Hamzeh vows loyalty to King, Hashemite legacy. (2021, 6 avril). The Jordan Times. https://www.jordantimes.com/news/local/king-entrusts-prince-hassan-deal-issue-prince-hamzeh-%E2%80%94-royal-court (consulté le 04/05/2021).

[11] Daou, M. (2021, 7 avril). Accusations de complot en Jordanie : le populaire prince Hamza au cœur d’une affaire trouble. France 24. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210407-accusations-de-complot-en-jordanie-le-populaire-prince-hamza-au-c%C5%93ur-d-une-affaire-trouble (consulté le 03/05/2021).

[12] King : « Sedition nipped in bud, Prince Hamzeh under my care ». (2021, 8 avril). The Jordan Times. http://www.jordantimes.com/news/local/king-sends-letter-jordanian-people (consulté le 04/05/2021).

[13] Daou, M. (2021, 7 avril). Accusations de complot en Jordanie : le populaire prince Hamza au cœur d’une affaire trouble. France 24. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210407-accusations-de-complot-en-jordanie-le-populaire-prince-hamza-au-c%C5%93ur-d-une-affaire-trouble (consulté le 03/05/2021).

[14] Jordanie : vague d’arrestations sur fond de lutte de pouvoir au sein de la famille royale. (2021, 4 avril). Les Echos. https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/vague-darrestations-en-jordanie-sur-fond-de-lutte-de-pouvoir-au-sein-de-la-famille-royale-1304181 (consulté le 03/05/2021).

[15] Carnelos, M. (2021, 12 avril). Allégations de coup d’État en Jordanie : le facteur israélo-saoudien. Middle East Eye. https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/jordanie-coup-etat-prince-hamza-abdallah-israel-arabie-saoudite (consulté le 05/05/2021).

[16] Ibid.

[17] Ersan, M. Abu Sneineh, M. (2021, 9 avril). Netanyahou vs. Abdallah II : les relations entre Israël et la Jordanie au plus bas. Middle East Eye. https://www.middleeasteye.net/fr/decryptages/israel-jordanie-netanyahou-abdallah-tensions-accord-paix (consulté le 04/05/2021).

[18] Ibid.

[19] Jordanie : vague d’arrestations sur fond de lutte de pouvoir au sein de la famille royale. (2021, 4 avril). Les Echos. https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/vague-darrestations-en-jordanie-sur-fond-de-lutte-de-pouvoir-au-sein-de-la-famille-royale-1304181 (consulté le 03/05/2021).

[20] Jordanie : le prince Hamza, demi-frère du roi Abdallah II, accusé de préparer un complot. (2021, 4 avril). France 24. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210404-jordanie-le-prince-hamza-demi-fr%C3%A8re-du-roi-abdallah-ii-accus%C3%A9-de-pr%C3%A9parer-un-complot-contre-le-royaume (consulté le 04/05/2021).

[21] Daou, M. (2021, 7 avril). Accusations de complot en Jordanie : le populaire prince Hamza au cœur d’une affaire trouble. France 24. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210407-accusations-de-complot-en-jordanie-le-populaire-prince-hamza-au-c%C5%93ur-d-une-affaire-trouble (consulté le 03/05/2021).

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